Invités à découvrir l’exposition temporaire Frame x Frame des studios Laika à la BFI de Londres, nous avons pu rencontrer les têtes pensantes du studio d’animation le plus courageux de la planète, tout en revoyant leurs meilleurs films. Une plongée fascinante dans le monde de la stop-motion !
Jusqu’au 1er octobre, la BFI de Londres propose une exposition temporaire centrée sur le studio Laika. En effet, le studio d’animation fondé par Travis Knight (également réalisateur de Bumblebee et fils du PDG de Nike !) a beau n’avoir produit que 5 films en 15 ans, il ce sera rapidement imposé comme un acteur majeur de la stop-motion.
Au même titre que Aardman, les artistes situés à Portland en Oregon passent plusieurs années à confectionner des films « en dur », via des marionnettes ensuite photographiées à plusieurs reprises. « Il y a 24 images dans une seconde, nous photographions donc 24 fois pour créer une seconde de film » nous apprendra Travis Knight lors de cette rencontre sur un week-end bien chargé, où nous avons pu revoir certains films en salle (et en 3D !), tout en assistant à des échanges de 30 min.
Laika : de débuts modestes à la grandeur
En effet, malgré un 1er court-métrage en animation CG (Moongirl, où l’histoire d’un jeune garçon transporté sur la Lune) et de futurs projets prévus en live-action, Laika se concentre exclusivement sur l’animation en stop-motion. Coraline, ParaNorman, Les Boxtrolls, Kubo et l’armure magique, Missing Link..
En seulement 5 métrages, Laika aura constamment voulu repousser les limites de cet art hérité de la préhistoire du cinéma (et par la suite popularisé par Harryhausen, et la franchise Wallace & Gromit). Grâce au succès de Coraline (réalisé par Henry Selick, papa de l’Étrange Noël de Monsieur Jack que nous avons pu rencontré lors d’une masterclass riche en anecdotes), la carrière de Selick a également pu reprendre un chemin viable après quelques échecs.
Tandis que le réalisateur était là pour évoquer les souvenirs de fabrication de Coraline, Teri Hatcher (éternelle Desperate Housewives mais également derrière la voix des 2 Mères du film) était aussi présente. « Laika est le studio d’animation le plus courageux au monde, car personne d’autre ne voulait faire le film. Il était considéré comme trop flippant pour les enfants, et trop enfantin pour les adultes ! » affirmera Henry Selick.
Coraline : le meilleur film d’Henry Selick
Un pari audacieux pour cette adaptation d’une œuvre de Neil Gaiman (Sandman, American Gods) où une petite fille se retrouve chaque nuit envoyée dans un monde parallèle avec des sosies de ses parents. Mais ce qui s’apparente à une bénédiction va évidemment devenir plus sinistre ! 1er film d’animation tourné en 3D native (et revoir Coraline en salle dans ce format fut une telle expérience qu’on se demande encore pourquoi le medium et la stop-motion n’use pas + de ce format permettant d’encore mieux apprécier les échelles et l’artisanat global), c’était aussi la 1e incursion de Teri Hatcher dans l’animation.
« J’ai dû approché les 3 rôles de manière totalement différente. Mais j’ai tellement aimé cette expérience que j’ai emmené quelques souvenirs chez moi, comme une vraie poupée Coraline qui est exposée à la maison ! » avouera-t-elle ! Tandis que Selick réaffirmera que le travail de l’illustrateur japonais Tadahiro Uesugi a complètement influencé la direction artistique du film (ce dernier travaillera même dessus), il confiera que bon nombre de voix d’enfants ont été faites avec ses propres rejetons (et la fille de Teri Hatcher) : « Utiliser les enfants est moins cher ! ».
ParaNorman : les 80’s réactualisés
Une belle entreprise qui aura pris 3 ans de fabrication, alors que Selick privilégiera toujours le « fait main » : « le numérique a été utilisé pour quelques plans seulement de manière périphérique, mais on ne voulait pas remplacer la stop-motion et l’animation physique« . Des propos qu’il développera ensuite dans la masterclass centrée sur sa carrière, mais que Sam Fell (Chicken Run 2) et Chris Butler appuieront pour la projection de ParNorman (L’Étrange pouvoir de Norman en VF) !
Animateur sur Tarzan 2 ou Les Noces Funèbres, Chris Butler est aujourd’hui le « second » de Laika tant il participe à l’élaboration narrative de chaque film (dont le futur Maîtres de l’Univers que Travis Knight réalisera pour la Paramount). Le 2nd film de Laika était aussi le 1er film qu’il a réalisé (secondé par Sam Fell). ParaNorman est d’ailleurs un projet auquel il pense depuis plus de 10 ans !
5 ans de développement et 1 an et demi de tournage auront été nécessaires, alors qu’à l’origine Chris avait seulement 30 pages de script à dévoiler à Travis Knight et Selick. Devant leur enthousiasme, il a donc fallu terminer l’écriture de ce récit puisant dans l’enfance de Chris lui-même (tel un moyen d’exorciser son adolescence à travers le coming-of-age), qu’il décrit comme « un épisode de Scooby-Doo s’il avait été réalisé par John Carpenter et John Hughes » !
La stop-motion en constante évolution
L’histoire de cet ado capable de voir les morts, et qui va faire face à une invasion de zombies puisant dans un contexte de sorcellerie a beau afficher des références explicites (même le thème d’Halloween est cité), ce très bon film respire la singularité malgré son côté Stranger Things avant l’heure.
Drôle et émotionnel (la scène finale avec Agatha fait toujours son petit effet), ParaNorman doit aussi son authenticité via le processus d’enregistrement des performances « tous les enfants jouaient dans la même pièce pour avoir quelque chose de plus naturel ». Mais outre les voix, c’est bien l’ingénierie globale qui est à nouveau mise en avant chez Laika : 24 poupées Norman ont été créées, tandis que chaque élément du film était plus détaillé que jamais !
« Il y a des artistes spécialisés dans chaque objet que vous voyez à l’écran, certains que l’on aperçoit qu’une seule seconde en arrière plan comme les brins d’herbe ! » dire Chris Butler. Un soin de chaque détail que l’on retrouvait aussi dans Les Boxtrolls, production sortie en 2016 qui n’a pas eu le même succès d’estime. Pourtant on retrouve aussi les thématiques du coming-of-age (doublée d’un propos sur la lutte des classes et la différence culturelle), mais ce qui manquait à cette histoire fun de garçon élevé par des trolls vivant sous terre tenait dans un seul élément : l’émotion !
Une émotion qui est le maître-mot de Laika, comme l’affirmera Travis Knight lors d’une masterclass suivant le plus grand film du studio (selon votre humble rédacteur) : Kubo et l’armure magique ! « Je voulais faire un film de David Lean ou Kurosawa mais version miniature » dit le réalisateur/scénariste/PDG de Laika !
L’épique dans l’émotion
Et revoir Kubo ne pas que lui donner raison, tant on tient là probablement le film en stop-motion le plus ample de l’Histoire du cinéma ! Un récit qui semble verser dans l’épique (un enfant se retrouve en quête de l’armure de son défunt père pour contrer les forces surnaturelles de sa famille divine) via des plans larges à couper le souffle (dès le tout premier plan !)..mais qui n’oublie jamais le caractère émotionnel d’un enfant devant faire le deuil de ses propres parents dans une ultime aventure.
Une émotion drivée par la sublime BO de Dario Marianelli, et que Travis décrit par ces mots : « La trame de Kubo est de traverser le Rubicon de l’enfance à l’âge adulte. On voulait explorer le deuil de manière honnête, contrairement à pas mal d’autres productions. Aux USA l’animation est souvent perçue comme quelque chose pour les enfants..mais des gens dédient des années entières à ces projets ! On veut montrer qu’il y a des sujets importants à traiter qui soient visibles par tous les publics. Le bon cinéma devrait avoir un équilibre entre noirceur et légèreté ! ».
Concernant la gestation de Kubo, il faut revenir au scénariste Shannon Tindle (Lost Ollie) qui avait bossé sur Coraline, et qui a pitché le film en 2010 (« Il travaillait également en parallèle sur une histoire de film de super-héros..qui est devenu Ultraman Rising cette année !). « J’ai tout de suite été intéressé par le concept, d’autant que j’ai un rapport très particulier avec le Japon depuis que mon père m’y avait emmené enfant quand j’avais 8 ans. » Il a par la suite renchéri sur les performances des acteurs (notamment Charlize Theron) en dévoilant qu’ils avaient enregistré les dialogues en amont pour ensuite adapter les les personnages à ces performances « Un animateur est donc aussi un acteur, capable d’amener les émotions où il faut pour sa création !« .
« Lorsque j’étais petit j’étais évidemment fan d’Harryhausen, mais également du monde de l’animation en général. Par la suite avec Laika j’ai voulu reprendre la tradition de la stop-motion et la pousser encore plus loin tout en développant mes propres histoires« . Knight cite même Ben Affleck (qui a joué son père dans le film Air !) en disant que « je le voyais jouer et réaliser en même temps, donc ça ne pouvait pas être si difficile que ça de faire plusieurs choses en même temps ! » dit-il en riant, puis en rétorquant que la tâche s’est avérée plus ardue que prévue.
Laika : une histoire de conteurs obsessionnels
Car oui, Knight a beau avoir participé à tous les films de Laika, Kubo était sa première vraie réalisation ! Bien entendu, le travail est avant tout collectif : « Il n’y a pas beaucoup de gens dans le monde qui font ça ‘la stop-motion) donc on va chercher des talents dans le monde entier ! ». Du challenge technique important en somme, à l’image du fameux squelette géant du film (hérité de Jason et les Argonautes) qui du haut de ses 7.9m et 181 kg est la plus imposante marionnette créée par le studio : « l’animateur qui se chargeait de lui se mettait à lui parler à la fin ». Quand folie et génie se mêlent, cela donne des merveilles !
« Chez Laika, tout est fabriqué sans aide extérieure ! Même lorsqu’on rencontre un problème, on trouve toujours une solution ! Par exemple outre les 400 visages créés pour le film, on a simplement trouvé que la texture parfaite pour réer les fameux origami était..du PQ ! ». Un art de la débrouille qu’on retrouvera aussi dans Missing Link de Chris Butler, autre récit inspirant (et résolument fun) sur la famille et la différence de culture, mais qui a été un flop en 2019.
Wildwood : le projet le plus ambitieux de Laika
« De belles images ne servent à rien sans histoire, c’est pour cela qu le cœur émotionnel est la chose la plus importante pour nous ! » conclura Travis Knight, avant de nous dévoiler quelques excitantes images de Wildwood, le prochain film du studio prévu en 2025 (l’histoire de Prue, une ado s’enfonçant dans un royaume forestier magique pour sauver son petit frère, mais qui sera au centre d’une guerre entre 2 factions). « Le film est incroyable ! C’est aussi le projet le plus ambitieux de Laika, avec toute sortes de créatures, de décors et de scènes de bataille à créer en dur. J’ai acheté les droits en 2009 mais on a pu le faire que maintenant grâce aux progrès technologiques ».
Une ambition qui se voit déjà malgré le peu d’éléments visuels dévoilés, mais que l’on a pu admirer dans l’exposition Frame x Frame qui permet d’apprécier chaque détail de production design ou de la confection des personnages de tous les films. Une exposition visible jusqu’en octobre à Londres donc, tandis que Laika n’a pas fini de travailler. Après Wildwood et son adaptation des aventures de Musclor, Travis Knight adaptera Piranèse (autre roman où un ado se retrouve dans un dédale situé dans un monde parallèle) et réalisera un conte folk pour adultes nommé The Night Gardener, co-écrit par Bill Dubuque (Ozark) !