Après nous avoir abreuvé d’un de ses pires films, le grand John Woo revient pour remaker un de ses meilleurs films : The Killer. Sortant en salle chez nous (mais en streaming dans le reste du monde), cette itération 2024 portée par Nathalie Emmanuel (Game of Thrones) et Omar Sy (Lupin) est un échec aussi cuisant qu’amer.
Lorsqu’on évoque John Woo, on évoquera parfois Mission Impossible 2, Volte/Face, Une Balle dans la Tête ou bien le monumental Hardboiled ! Mais ce qui est certain, c’est qu’on oubliera pas de citer The Killer : sorti en 1989, cet hommage au cinéma de Melville (Le Samouraï) à la sauce HK sera la porte d’entrée de bon nombre de cinéphiles dans la filmographie riche de John Woo.
En effet, ce récit d’amitié naissante (mais contrariée) entre un tueur à gages (Chow Yun-fat retrouvait Woo après les 2 volets du Syndicat du Crime) et un inspecteur de police (Danny Lee) alors que le premier blessera une victime collatérale lors d’un assassinat. Pris d’affection pour cette jeune femme devenue aveugle par sa faute, le tueur éponyme fomentera un ultime coup pour réparer ses torts, tout en étant traqué par la police et la pègre.
Woo-style en quête de déclinaison
Un polar avant tout marquant via une dimension romantique exacerbée (mais où la bromance prend le pas sur une romance chaste), mais surtout une action au découpage inédit, précurseur des futurs faits d’armes de Woo et pierre angulaire de son style hyperesthésique. Un film majeur de sa filmographie en définitive, qu’Hollywood planifie de remaker depuis près de 30 ans (on a failli avoir une version par Walter Hill, avec Denzel Washington et Richard Gere).
Malgré une carrière US en demi-teinte, John Woo prend les devants en mettant lui-même en scène cette réadaptation 2024 : alors que Lupita Nyong’o devait reprendre les flingues de Chow Yun-fat, c’est finalement Nathalie Emmanuel (Zee) qui s’en charge, face à l’inspecteur Omar Sy (Sey) dans notre belle capitale parisienne.
Un parti pris que l’on pourrait qualifier de curieux, mais lorsqu’on connaît l’amour de Woo pour Melville (il avait failli remaker Le Samouraï en tournant à Berlin avant que les négociations avec Besson tombent à l’eau), voir un des grands artisans du genre filmer Paris et redynamiser son cinéma avait de quoi un tantinet séduire. Malheureusement, c’est oublier qu’à part le formidable Les 3 Royaumes et The Crossing, le cinéaste Hong-kongais enchaîne les déconvenues dans son pays (le raté Manhunt) et en Occident (le raté Silent Night).
Retour aux sources avec The Killer ?
Alors que Woo abandonnait ses gimmicks de mise en scène, The Killer sauce 2024 affiche d’entrée de jeu un retour à la grammaire de Woo, notamment dans quelques séquences d’action peu désagréables : ralentis, explosions, mexican standoff, fusillades acrobatiques à 2 flingues, cascadeurs enflammés..
The Killer affiche même un découpage lisible et quelques joutes mano-à-mano bien agréables dans son climax : voilà pour les réjouissances, car il faudra régulièrement se pincer tout le reste du visionnage devant la dévitalisation globale de l’entreprise ! C’est simple, passé quelques vagues instants Woo-esques (le motif chrétien et les pigeons en prime), on a affaire à un simple remake semblant avoir été produit par une de nos chaînes télévisées !
Malgré des accès de violence graphique (gerbes de sang numérique à intervalle régulier), The Killer affiche une fadeur globale à tous les niveaux, que ce soit la direction d’acteurs extrêmement hasardeuse (oscillant entre l’anglais et le français en dépit du bon sens), la caractérisation grossière des personnages (Sam Worthington en mentor/truand irlandais face à un Eric Cantona roi de la pègre n’était définitivement pas dans le bingo de l’année), l’écriture au rabais (les enjeux criminels n’ayant aucune incidence finale dans la dramaturgie), sa musique folklorique hors propos (signée Marco Beltrami) et la facture visuelle lisse de l’ensemble.
De-make crypto français
Certes, Paris ne semble pas fantasmagorique (pour une fois), mais le setting français n’est pour ainsi dire jamais exploité. Même le climax en église abandonnée ne semble pas faire sens (des explosions et coups de feu par dizaines dans un endroit abandonné en plein centre du quartier latin parisien sans que les autorités n’accourent fait franchement sourire), dans cette version 2024 étonnamment avare en action.
C’est dommage, car The Killer montre néanmoins un peu d’implication de la part de Nathalie Emmanuel et Omar Sy en terme de physicalité, malgré un réel manque d’aspérité global. Mais quelques clés de bras et sourire complice ne suffiront pas à leurrer derrière ce To Catch a Thief timoré et digne d’un fond de tiroir pour plate-forme. Pire, Woo expurge toute notion de sentiments et de romantisme à fleur de peau : la victime aveugle sera intégrée au forceps autour d’un simple dialogue évoquant la défunte sœur de Zee, tandis que même l’appartement de cette dernière n’existe que par une absence de production design cohérente pour nous emmener dans la psyché du protagoniste. On notera un versant final plus optimiste que l’original, mais avant tout plus consensuel.
Comme de manière méta, une grille de mots-croisés et un vulgaire poisson rouge en bocal constitueront la simple caractérisation intime de la tueuse qu’on suit. En résulte un vrai « demake » dont on se demande bien la nécessité, et surtout l’efficacité (2h de métrage tout de même pour un plot inutilement étiré). Un produit schizophrène de plus piloté tristement par celui qui fut jadis un des grands patrons du cinéma d’action. Manhunt et Silent Night pouvaient faire office d’accident puis de renoncement. The Killer est sans doute le dernier clou : John Woo a flingué son cinéma !
The Killer sortira au cinéma le 23 octobre 2024
avis
On pensait que Manhunt et Silent Night étaient des erreurs de parcours, mais cette nouvelle version de The Killer par John Woo lui-même prouve tout simplement que celui qui fut jadis un des grands artisans du cinéma d'action n'a plus le mojo. Recyclant les motifs consubstantiels de son cinéma, le réalisateur Hong-kongais accouche d'un téléfilm fade à peine sauvé par le capital sympathie de ses interprètes dirigés en roue libre. Un triste pétard mouillé !