Lovecraft Country a conclu sa 1e saison à l’issue du 10e épisode. Série HBO produite par Jordan Peele (Get Out) et J.J. Abrams (Lost), elle aura déstabilisé plus d’un spectateur de par un côté insaisissable et peu défini dans ses intentions initiales. Néanmoins, malgré une certaine inconstance, on tient là une vraie série de genre qui embrasse le pulp à bras le corps, via un réel côté singulier.
Après un excellent pilote réalisé par Yann Demange (Undercover), Lovecraft Country partait sur les chapeaux de roue. Lorgnant vers l’horreur fantastique pure, dans une Amérique gangrénée par l’injustice raciale des lois Jim Crow, cette entrée en matière abreuvait le spectateur de toutes les intentions globales de la série. Réquisitoire (peu nuancé mais au militantisme coup-de-poing) contre un racisme US qu’on ne présente plus dans les 50’s, mais aussi road trip mêlant magie, famille, gore et autres créatures fantastiques…Lovecraft Country est un très beau terreau fertile pour tout amateur desdits genres !
Pour rappel, il s’agit d’une adaptation du roman éponyme de Matt Ruff sorti en 2016. Nous suivons Atticus Freeman, son oncle George et Leti (son amie d’enfance), 3 afro-américains, partis sur les traces du paternel d’Atticus (Montrose Freeman). Ce dernier est porté disparu près de la ville fictive d’Arkham…le fameux Lovecraft Country. Si H.P. Lovecraft est rapidement cité, inutile de croire que nous évoluerons dans l’univers horrifique du célèbre créateur des Montagnes Hallucinées. Ce point de départ est une manière d’ancrer le récit dans un imaginaire référencé qui se déploiera à chaque épisode, explorant des genres différents.
Rapidement après avoir joint leur destination, le trio embarquera dans une aventure insoupçonnée aux prises avec un obscur ordre de sorciers, dont fait partie la non-moins mystérieuse et glaciale Christina Braithwhite (Abbey Lee, vue dans Mad Max Fury Road et The Neon Demon). S’ensuivra en filigrane une quête pour obtenir le Livre des Âmes, McGuffin déterminant pour sceller le conflit entre les 2 camps. Un fil rouge qui il faut l’avouer, à bien du mal à ressortir, délaissé à intervalles réguliers au gré des épisodes.
Inconstante dans sa narration, Lovecraft Country se perd au détour, puis reprend son fil rouge, l’interconnecte, et finalement délaisse son léger côté anthologique dans sa dernière portion. En résulte une progression légèrement hâchée, où il faudra attendre la mi-saison pour trouver son rythme de croisière. Un procédé qui n’est pas sans rappeler quelques séries fantastiques comme Fringe et Tales from the Crypt. Néanmoins, la showrunneuse Misha Green a veillé au grain pour ne pas nous retrouver face à un fourre-tout artificiel, mais une aventure généreuse et hautement audacieuse.
Pulp Country
Si la série possède un ou 2 épisodes en-deça, de par des récits moins inspirés aux FX plus visibles, inutile de dire que Lovecraft Country fourmille aussi d’excellentes idées extrêmement bien traitées et mises en scène. Outre le pilote, nous pouvons citer l’épisode 6 « Meet Me in Daegu » comme une vraie leçon, portée par une Jamie Chung (The Gifted) trouvant le rôle de sa carrière. Une parenthèse se déroulant comme une romance tragique et mythologique contrebalancée par les horreurs de la Guerre de Corée : c’est un immense OUI que n’aurait pas renié un Guillermo Del Toro !
D’autres épisodes laissent aussi une belle empreinte, comme celui où la soeur de Leti est capable de devenir caucasienne, un autre sous forme d’aventure « Indiana Jones-esque » dans des catacombes immergées, ou bien l’épisode 7 qui pousse les potards à fond niveau de l’afro-futurisme et du fantastique émancipatoire féministe. C’est dans ces moments que Lovecraft Country se révèle la plus réjouissante et pourvoyeuse d’une vraie inventivité.
Comme dit précédemment, la série se perd parfois dans des intrigues inégales. En premier lieu tout ce qui tourne autour des Fils d’Adam, cercle occulte de sorciers avec qui Atticus possède un lien. Une force antagoniste matérialisée par une Christina antipathique et frigide, aux motifs qui peinent à à devenir intéressants via un manque d’emphase. Une bad guy charmante, mais bien plus absente que la véritable menace de la série, à savoir le climat de ségrégation raciale ambiant.
Que ce soit dans le pilote avec sa poursuite crépusculaire, l’épisode 3 où le voisinage devient un étau pour les protagonistes ou encore le 8e qui implique un voyage temporel très bien amené, l’ombre de Jordan Peele et du travail de Misha Green sur la série Underground se fait sentir. Délaissant au fur et à mesure ses références pour que les héros se créent leurs propres histoires, Lovecraft Country se révèle avant tout comme une revanche des opprimés de la pop culture.
Un casting héroïque
Jonathan Majors, révélation dans The Last Black in San Francisco et Da 5 Bloods (en attendant Ant-Man 3) illumine les 10 épisodes de son talent. Humble, courageux, faillible et aux blessures profondes, on tient donc là un vrai héros pulp digne de John Carter interprété avec brio. Son duo avec Leti fonctionne d’ailleurs à merveille. Campée par Jurnee Smolett (Birds of Prey), cette dernière est la boule de feu de Lovecraft Country. Une femme forte au tempérament incendiaire qui n’hésite pas à faire preuve de sensibilité lors d’une scène, et de manier la batte de baseball celle d’après.
Rayon distribution, on peut toujours compter sur le grand Michael K. Williams (qui après The Wire et Boardwalk Empire, incarne un troisième personnage gay dans une série HBO, non utilisé comme faire-valoir ceci-dit). Figure paternelle conflictuelle avec Atticus, c’est lui qui apporte la plus belle dose d’émotion de la série à un moment clé. Aunjanue Ellis (Dans leur Regard) est légèrement délaissée en temps de présence, mais est à l’honneur dans un épisode 7 au kitsch assumé et audacieux. Et enfin la très bonne Wunmi Mosaku (Black Mirror) détient de loin le rôle le plus contrasté..
Si l’effervescence et la maîtrise globale de cette saison n’est pas présente à chaque instant, Lovecraft Country demeure une bonne pioche pour tout aficonado de fantastique, de SF et d’horreur mélangés au shaker. Violente et graphique (on notera de saisissants CGI de morphing et de body horror), audacieuse et singulière, pourvue de créatures carnivores et autres sinistres fantômes… c’est donc à un cocktail pulp que nous invite HBO.
En abandonnant son côté « anthologique » cette saison 1 se termine de manière plus classique (mais aussi plus tenue) : on attend de voir où nous emmènera une très probable saison 2. Car si on peut reprocher à Lovecraft Country son inconstance, ce n’est décidément pas au niveau de son imagination et ses idées qu’elle fait défaut, bien au contraire !