Après un hiatus de trois ans et une saison 4 très singulière, l’excellente série anthologique Fargo revient avec une saison 5 au cocktail digne du chef-d’œuvre des Coen. Dénonçant la masculinité toxique, cette nouvelle histoire par Noah Hawley bénéficie d’une écriture, d’une fabrication et d’un casting impeccable !
Déjà 10 ans que Fargo se déclinait sur le petit écran. Un pari audacieux mais tout à fait risqué, d’autant que le film des frères Coen demeure encore aujourd’hui un de leurs plus beaux faits d’armes cinématographiques. Mais c’était sans compter le talent de Noah Hawley (Legion, la future série Alien), qui parvenait à synthétiser tous les ingrédients du film original dans une nouvelle histoire canon de très grande qualité.
Ceci est (encore) une histoire vraie
Mais l’aventure ne s’est évidemment pas arrêté là, tandis qu’Hawley déclinait les codes de Fargo (mélange de drame et de comédie dans des histoires plus ou moins enlevées se déroulant dans le milieu du crime du Minnesota) dans des saisons parvenant constamment à se renouveler, y compris en terme d’époque.
Et après une saison 4 se déroulant dans les 50’s et légèrement en-dessous des autres du fait d’une longue mise en place de l’intrigue, Fargo Saison 5 revient dans un nouveau récit beaucoup plus proche de l’esprit original en terme de tonalité ! Prenant place fin 2019 en période de fêtes, nous découvrons Dorothy « Dot » Lyon (Juno Temple), une femme au foyer tout à fait ordinaire.
Pourtant, cette dernière fuit un sombre passé, et sera rapidement traquée par Roy Tilleman (Jon Hamm), shériff corrompu du Dakota du Nord et mari initial de Dot. Parvenant à vaincre les tueurs lancés à ses trousses, Dorothy va devoir laisser de côté sa fille et son conjoint pour clore cette sinistre page de sa vie. Mais c’est sans compter la police de Fargo ou bien Lorraine Lyon (Jennifer Jason Leigh), la belle-mère arrogante également redoutable chef d’entreprise.
Fargo tel qu’on l’aime
Dès son excellent épisode pilote (mis en boîte par Hawley lui-même), on retrouve Fargo comme dans des petits chaussons. Les paysages enneigés du Minnesota, l’accent comique et bon vivant de ces habitants, puis une émeute en plein collège ! Un point de départ qui permet de poser efficacement le personnage de Dorothy, petit bout de femme de moins d’un mètre 60 qui fera tout pour protéger sa famille, et qui n’hésite pas à user de la manière forte si besoin !
C’est dans ce décalage constant que cette saison 5 trouvera sa force, parvenant à imbriquer violence graphique (oui il y a des meurtres comme dans chaque saison de Fargo), légèreté de ton et propos universel. Certes, le discours féministe face au patriarcat toxique semble dans l’air du temps, mais c’est oublier que la série a toujours disséqué diverses facettes de l’Amérique, de ses fondations jusque dans sa dimension contemporaine.
Créance de sang
Mais loin d’être dans la pause illustrative, Fargo Saison 5 amène de manière bien plus ample le concept de dette comme thématique-clé. Dette pécuniaire (le redoutable personnage de Lorraine est la représentation même de la femme d’affaire dans un monde masculiniste), dette émotionnelle (le personnage de Trooper incarné avec humanité par Lamorne Morris), ou même carrément dette biblique avec Ole Munch (Sam Spruell) : un tueur à gages au credo ancestral semblant tout droit sorti de No Country for Old Men, amenant une surprenante dimension fantastique !
Un numéro d’équilibriste qui ne penche jamais vers le grand-guignol, préférant avant tout faire de cette saison 5 un crime drama émancipatoire reposant sur des codes de survival. Le tout est d’autant plus flagrant dans les 4 premiers épisodes en pleine ambiance d’Halloween (on appréciera les easters eggs de The Nightmare Before Christmas), faisant penser à du film noir tendance Shane Black ou Elmore Leonard.
Fargo n’hésite d’ailleurs pas à proposer quelques moments plus musclés, tel un jeu du chat et de la souris en pleine supérette, ou bien du Home Alone plus graphique. On regrettera peut-être un discret ventre-mou en épisode 6, amenant un petit sur-place narratif pour mieux explorer le craquelage de la carapace badass de Dot et le contexte post-traumatique de son passé. En résulte un très bel épisode 7 cathartique et introspectif, exorcisant des années de violence à travers un spectacle de marionnette.
La forme comme le fond
Surtout, Noah Hawley n’oublie pas de pleinement traiter ses thématiques mais aussi les arcs narratifs de ses personnages, jusque dans un double-épisode final riche en tension, et porté par une mise en scène des plus cinégéniques. Là encore, Fargo Saison 5 parvient à subvertir quelques attentes : de manière cruelle pour certains mais avant tout avec humanisme et bonté. Un aspect chaleureux plutôt inédit pour la série, aussi désarçonnant (son épilogue autour de la préparation de biscuits) que nécessaire face à la violence préalable.
Pour se faire, Fargo Saison 5 ne déroge pas à la règle d’un excellent casting (comme pour les autres saisons) : au rayon des bad guys surtout, on pourra apprécier un Joe Keery (Stranger Things, Free Guy) totalement convaincant (et à contre-emploi) en caricature d’ultra-républicain (même si légèrement délaissé à la fin). L’antagonisme brille de plein feux via Jon Hamm (Mad Men, Baby Driver), décidément parfait en despote mascu puisant ses principes de justice expéditive dans la Bible et la Constitution américaine elles-mêmes.
Et pour dézinguer les conservateurs extrémistes, il fallait bien une héroïne de premier ordre. Là encore, on appréciera le rôle proactif de l’agent Indira (perso également périphérique mais avec ses propres enjeux parallèles) jouée par Richa Moorjani. Néanmoins, cette Saison 5 de Fargo appartient à 100% à Juno Temple (Ted Lasso), campant une Dorothy aussi attachante que badass, aussi courageuse que vulnérable (l’accent en +). Un joli portrait de femme qui donne toute sa saveur à une S5 réaffirmant encore une fois le talent de Noah Hawley, et la capacité de Fargo à se renouveler sans perdre en qualité !
Fargo est disponible en intégralité sur Canal+ dès le 18 janvier 2024
avis
Avec cette très bonne Saison 5, Noah Hawley parvient à renouer avec l'esprit original de Fargo. Jonglant habilement entre ses diverses tonalités, on tient là un récit émancipatoire qui n'aura rien de profondément novateur dans son propos, mais dressant un portrait bien enlevé de l'Amérique contemporaine. Néanmoins, on reste avant tout sur du pur crime drama porté par un excellent casting, au sommet duquel trône la pétillante Juno Temple.