Emmanuelle se voit ressuscitée, dans une version se rêvant en voyage sensoriel et sensuel, ne suscitant finalement qu’un sentiment d’interminable ennui.
On a tendance à l’oublier, mais Emmanuelle fut en 1974 l’un des plus gros succès du cinéma français, apparaissant encore aujourd’hui, du haut de ses 8 millions d’entrées, dans les 50 plus gros succès de notre box-office hexagonal. Entouré d’un parfum de scandale, le film porté par Sylvia Kristel, adapté du roman érotique éponyme d’Emmanuelle Arsan, a néanmoins aujourd’hui beaucoup vieilli et perdu de sa superbe. Il était donc plus que judicieux de moderniser cette figure populaire de femme libre et libérée à une époque où l’émancipation féminine est au cœur des sujets les plus cruciaux. Et quelle meilleure idée pour cette relecture, pile cinquante années après la sortie du film original, que de la confier aux talentueuses Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski, en offrant au personnage les traits de la géniale Noémie Merlant ?
On doit ainsi aux deux metteuses en scène et scénaristes de beaux portraits de femmes libres confrontées à des schémas archaïques, de l’adaptation anxiogène du roman d’Annie Ernaux, L’Évènement, pour l’une et pour l’autre le récent et magnifique Les Enfants des autres. Et s’il était, sur le papier, de bon ton de livrer une vision féminine, délestée de tout apriori masculin du personnage d’Emmanuelle (pensé sous la plume d’une femme, on vous le rappelle), l’on constate pourtant rapidement que le défi se révélait trop ambitieux, au vu de cette relecture désincarnée, dénuée de la moindre tension, aussi ennuyeuse que les couloirs d’hôtels luxueux dans lesquels l’héroïne déambule sans but précis.
Good-bâille, Emmanuelle
Emmanuelle, à l’inverse du film de 1974, est ici une femme libre et indépendante. Délesté du désir et des requêtes d’un mari, elle se trouve néanmoins aux ordres d’une entreprise de luxe pour qui cette dernière effectue des contrôles qualité très exigeants. Envoyée à Hong-Kong, sa tâche se verra complexifiée par sa rencontre avec un homme mystérieux, qui suscitera rapidement chez elle fantasmes et remise en question…Et très rapidement, Emmanuelle s’ennuie, et son sentiment s‘avère contagieux. Même s’il était prégnant dans le film original, on sent ici la volonté d’Audrey Diwan de s’emparer de ce spleen pour en faire un voyage à la fois sensuel et sensoriel avec de l’ASMR pour boucher les trous béants de l’intrigue et du désir.
Parce que tout s’avère figé, éteint et désincarné dans cette nouvelle version qui paraît révéler un certain sentiment de fuite et d’inconfort de la part de ses autrices. La liberté de mœurs du personnage se voit ici filmée sans aucune sensualité ni audace, le scénario d’Audrey Diwan et Rebecca Zlotowski préférant s’attarder sur l’aspect psychique, et de suggérer pour son personnage une énième quête d’émancipation (tout comme celui, inutile, de la directrice d’hôtel campée par Naomi Watts), comme dans leurs précédentes œuvres, afin de se libérer totalement de l’emprise d’une entreprise absente, mais cependant bien trop étouffante.
Emmanuelle n°5
Emmanuelle ressemble ainsi souvent à une pub de luxe, où les errements sans but de Noémie Merlant, son regard pensif, ainsi que la mise en scène sans véritable regard d’Audrey Diwan s’avèrent idéaux pour mettre en valeur une garde robe soignée et des produits de premier ordre. L’ennui aidant, on connaîtra ainsi tout de cet hôtel de luxe, des réunions de personnel où l’on prend grand soin du client fortuné en passant par le processus de situation de crise pour protéger ces derniers d’une horrible coupure d’électricité, tout en faisant déplacer une main d’œuvre invisibilisée, de nuit, dans un bâtiment inondé. On se demande ainsi longuement où est passé l’érotisme et le regard libéré dans ce long-métrage mondain et désincarné où tout n’est finalement que posture figée et regards lascifs.
Quelques répliques vides sur le désir, des personnages inutiles passant comme de simples figurants haut de gamme, on pense ainsi souvent à une version radicale de Somewhere de Sofia Coppola, qui avait au moins le mérite de palier son portrait de l’ennui par l’attachement que l’on pouvait ressentir pour son duo père-fille. Semblant même conscient de ses propres limites, le film n’hésitant pas à évoquer une pub pour yahourt tournée comme un film d’auteur, cette nouvelle version d’Emmanuelle manque de chair et se trouve dénuée d’une quelconque vision pour offrir au personnage la place qu’il mérite, une fois de plus. Si le film original souffrait de son regard de photographe masculin, celui-ci pâtit de son regard d’autrices sans points de vues.
Emmanuelle est actuellement en salles.
Avis
Emmanuelle échoue une fois de plus à trouver la place qu'elle mérite, même sous le regard féminin d'autrices de talent, ici dénuées de l'audace et d'un point de vue suffisant pour rehausser ce qui ne paraît être qu'une longue pub de luxe complètement désincarnée.