They shot the piano player dénonce l’horreur de la dictature argentine par la disparition du pianiste prodige Tenório Jr.
Le réalisateur Fernando Trueba (L’Artiste et son modèle, L’Oubli que nous serons…) profite d’un voyage au Brésil en 2004 pour acheter des disques musicaux quasiment introuvables ailleurs. Aux côtés des grands noms de la bossa nova (João Gilberto, Antônio Carlos Jobim…), siège celui d’un certain Tenório Jr. Intrigué, le réalisateur tente de remonter la piste du pianiste inconnu, qui s’arrête mystérieusement dans les années 1970. En creusant d’avantage, Fernando Trueba fait concorder la disparition de Tenório Jr. avec le coup d’État argentin de 1973. Il entame dès 2005 une longue série d’environ 140 interviews pour reconstituer la disparition du musicien. Au terme de cette enquête massive, il s’allie à Javier Mariscal, avec qui il a déjà collaboré sur le long-métrage d’animation Chico & Rita en 2011. They shot the piano player naît en 2023 de cette seconde coopération, toujours dans un style d’animation aux couleurs chatoyantes inspirées des romans graphiques.
Documentaire turbulent
Dans le film, l’enquête est menée par un Américain jeune et sexy, dénommé Jeff. Doublé par son homonyme le plus iconique de Hollywood, Jeff Goldblum (Jurassic Park, Thor: love and thunder…), les séquences de voix off s’apprécient tout particulièrement. Accompagné de João et de Jessica, seuls personnages fictifs du film, il parcourt l’Amérique du Sud à la recherche des traces de Tenório Jr. Les interviews s’enchaînent à un rythme tel qu’il est parfois difficile d’en suivre le fil. Dans ce tourbillon de souvenirs, d’émotions et de personnes rencontrées, une trame claire n’émerge jamais vraiment.
They shot the piano player éprouve bien du mal à s’aérer dans ce flot continuel d’informations. Les entrevues s’entrecoupent parfois de scènes musicales, moments suspendus enivrants. Les plages de couleurs se calquent délicatement sur la musique jouée, principalement des morceaux de Tenório Jr. Cependant, l’animation des personnages peine à offrir des moments pleinement savoureux. La raideur constatée des mouvements, même sur des individus au premier plan, brise souvent l’immersion. La magie inhérente à la technique de l’animation peine à jaillir, malgré un soin quasi maniaque accordé aux détails des décors (les interviews de la version physique en dévoilent tous les secrets).
La vérité réapparue
Dans cette enquête en mode speed dating, la poursuite de la vérité s’impose dès les premiers instants. Le film recontextualise avec justesse les années noires de l’après-guerre sud-américain. Les approches sont variées et s’insèrent minutieusement entre des interviews ou des reconstitutions de souvenirs. La carte des coups d’État, la visite de l’École de mécanique de la marine, la grand-mère retrouvant ses petits-enfants… chaque mise en scène de la violence politique se veut glaçante. Fernando Trueba et Javier Mariscal rappellent une fois de plus que la vérité sur les « désaparecidos » (personnes disparues ou secrètement enlevées puis mises à mort lors de la dictature argentine), met cruellement du temps à émerger et éclate grâce à des initiatives privées.
Par ces travaux herculéens de compilation de souvenirs, They shot the piano player se mue en hommage passionné au musicien. Pièce d’histoire à part entière, il est le seul document qui regroupe une biographie de l’artiste ainsi que les motifs et les circonstances de sa disparition. Tout au long du documentaire, Tenório Jr reprend vie grâce aux souvenirs encore puissants de ses proches et aux passages plus calmes qui permettent d’exalter ses talents de pianiste.
They shot Tenório Jr
They shot the piano player compose alors avec quelques tares qui viennent ternir le portrait d’un récit biographique passionnant. Beaucoup d’informations se noient sous les flots continus de témoignages. Condenser 140 entretiens relatant une disparition mystérieuse sur fond de dictature était un pari périlleux. Visuellement, l’animation rigide pourra aussi se montrer déstabilisante. Il n’en reste pas moins que le film permet de découvrir un musicien au talent hors normes, par cet hommage éclatant aux grandes heures de la bossa nova.
Le long métrage d’animation They shot the piano player est sorti en DVD et en VOD le 17 septembre 2024. L’édition physique contient trois interviews bonus et une galerie de photographies de Tenório Jr.
Avis
Récit biographique et politique, They shot the piano player brille par son sens du détail. 140 interviews ont été menées pour reconstituer la nuit de la disparition de Tenorio Jr. Côté visuel, les décors sont éclatants de minutie et les couleurs employées, savamment pensées. Cependant, le film éprouve quelques difficultés à tout faire rendre dans un cadre. La surabondance de voix conduit à engranger trop d'informations trop rapidement, tandis que la technique d'animation souffre d'une rigidité chronique peu flatteuse visuellement.