Le Moby Dick est une comédie sociale qui nous emmène chez les dockers du Havre en 2002, à l’aube d’une grève inédite.
Le Moby Dick, c’est le genre de surprises que l’on aime dans ce Festival. Ce n’était pas à proprement parler un spectacle qui nous avait tapé dans l’œil. Mais, on commence à le savoir, c’est parfois là que l’on fait de bien jolies découvertes ! Et l’avantage quand on aborde un spectacle sans attentes, c’est qu’on ne peut pas vraiment être déçu.
Nous voilà donc sur le port du Havre, prêts à passer 1h20 au milieu des dockers. Nous entrons instantanément dans le monde, la routine, la culture de ces hommes qui ont presque tout d’une famille. Tandis que la situation économique se tend et qu’un plan social les menace, tous vont s’unir et déclencher la plus grande grève connue sur le quai et dans le monde. Et on se laisse embarquer à leurs côtés, saisis par le réalisme de ce qui se déroule devant nous.
Dans les docks à la tombée du jour…
Nous sommes en janvier 2002. Ishmael est embauché en tant qu’ouvrier occasionnel chez les dockers du Havre. Il ne connaît rien à cet univers, lui ce qu’il veut c’est devenir riche et savant. Mais il est rapidement adopté par la bande et se lit d’amitié avec Koubiac, La Poigne, Chico, L’Aiguille, Le Grand, Sidi Saïd, ou encore le Capitaine Achab qui vient d’amarrer.
Autant de personnalités fortes que l’on découvre en même temps que lui et auxquelles on s’attache progressivement. Et ce que l’on découvre surtout, au sein de cet univers d’hommes, c’est un merveilleux esprit de camaraderie et une solidarité à toute épreuve. Ainsi, quand de nouvelles mesures pour augmenter leur cadence de travail sont prises et que la menace d’un plan social gronde, les dockers comptent bien faire entendre et respecter leurs voix.
Quand le progrès menace
Le Moby Dick est sur le point de faire escale. Si les dockers sont d’abord excités à l’idée de débarder et de charger le plus grand porte-conteneurs du monde – l’équivalent de quatre terrains de foot tout de même ! – ils vont vite déchanter. En effet, il va falloir travailler plus, plus vite. Et les machines feront certaines tâches bien plus vite que les hommes… C’est pourquoi, pour accompagner le développement du port, des retraites anticipées vont avoir lieu.
« Ce monstre amène les problèmes. Après lui, rien ne sera plus pareil. »
C’est ce qui va mettre le feu aux poudres et motiver ces hommes en colère à organiser une grève d’une ampleur inédite à laquelle les dockers d’autres ports vont se joindre, jusqu’à prendre une dimension mondiale. « Les ports morts » sont-ils désormais surnommés par les médias. Inévitablement, ce sont alors les routes qui se trouvent surchargées, créant la colère des civils, tandis que les eaux se trouvent dangereusement encombrées par les porte-conteneurs qui s’accumulent aux abords des ports. La situation est tendue…
Quelle équipe !
Les 9 comédiens et la comédienne de cette distribution incarnent leurs rôles avec beaucoup de réalisme et le même talent. Les personnalités sont fortes, contrastées, crédibles. Et chacun de ces dix personnages en impose par sa présence. La Poigne, interprété par Stéphane Titeca, s’interroge sur son avenir. Sa Coco l’a quittée, et il se demande qui voudra l’embaucher à 47 ans… Chico, lui, sous les traits d’Antonio Macipe, est plus confiant. Il rêve de partir à Paris pour devenir acteur de toutes façons… Pour Bob, l’heure de la retraite a sonné. Et ça se fête !
Alex Metzinger, que nous avions découvert dans 13, où il incarnait déjà avec talent un rescapé du Bataclan, Akim Chir, Adrien Bernard-Brunel, Alexis Desseaux, Pierre Benoist, ou encore Nicolas Soulié, que nous avions repéré dans Piaf, Je me fous du passé, sont également de la partie. Au milieu de cet univers masculin, Valérie Zaccomer, que l’on retrouve aussi dans La vie est une fête, autre pièce de notre sélection, s’impose sans mal.
Et puis il y a ce capitaine un peu bourru qui n’a pas sa langue dans sa poche, incarné par Alain Leclerc. Un personnage que nous avons adoré. Il apporte à la fois un peu de légèreté par son côté désabusé qui déclenche quelques rires, mais aussi une épaisseur supplémentaire par ses propos très lucides et ses formules bien senties sur le progrès, le développement, l’économie. Comme lorsqu’il évoque les machines qui commencent par nous rendre service avant de devenir nos patrons…
Le Mody Dick, une expérience à vivre !
C’est un superbe travail collégial que donne à voir cette pièce. Ce n’est pas si courant d’avoir autant de comédien.ne.s sur scène, et encore moins rassemblés autour d’un tel esprit d’équipe. C’est vraiment beau à voir. Et cela crée une atmosphère que nous avions rarement expérimentée au théâtre. D’autant que ce spectacle réunit plusieurs gros atouts qui le rendent bien plus captivant que nous l’avions imaginé.
« On n’existe pas sans eux ? Ils vont comprendre qu’ils ne sont rien sans nous. »
Il y a déjà cette superbe scénographie qui nous offre une immersion totale dans cet univers. Les échafaudages qui composent le décor se déplacent pour répondre aux besoins de la mise en scène dynamique de Lina Lamara, assistée de Morgan L’hostis, qui dévoile ici un autre talent à celui de comédienne que nous lui connaissons notamment dans l’une de nos pièces coups de cœur, Zourou, au-delà des mots.
Il nous faut aussi citer la création lumières de Marie Ducatez, ainsi que la musique de Kenzy Lamara qui enrichissent avec beauté le tableau et contribuent à un rendu assez cinématographique. Et puis il y a, bien sûr, cette équipe de comédiens géniaux qui jouent avec tellement de naturel qu’ils nous font oublier le théâtre. La fraternité qui se dégage de leurs liens créé une énergie et un enthousiasme qu’ils nous communiquent, et que l’on se réjouit de pouvoir enfin exprimer et partager avec eux dans une standing ovation bien méritée.
Le Moby Dick, de Lina Lamara, mis en scène Lina Lamara, avec Alain Leclerc, Akim Chir, Adrien Bernard-Brunel, Alexis Desseaux, Alex Metzinger, Valérie Zaccomer, Nicolas Soulié, Stéphane Titeca, Antonio Macipe & Pierre Benoist, se joue du 07 au 29 juillet, à 11h35 (relâche les mercredis), au Théâtre des Gémeaux.
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Avis
La simplicité et l'ambiance très "bon enfant"qui règnent au sein de cette communauté d'hommes tranche radicalement avec le symbole de démesure qu'incarne le Moby Dick. Et les questions sociétales, économiques et écologiques que cela pose entrent en résonance avec notre époque.