À peine son précédent film débarque chez nous (Pauvres créatures) que l’ultra-productif cinéaste grec, Yorgos Lanthimos, enchaine avec la présentation de Kinds of Kindness au Festival de Cannes 2024 en compétition officielle. Il revient avec un projet plus petit, mais qui lui ressemble terriblement.
En neuf films, Yorgos Lanthimos s’est bâti une très belle réputation jusqu’à rejoindre la liste des grands réalisateurs de notre époque. Il a un style féroce qui ose perturber le spectateur avec toujours beaucoup d’humour noir. Il n’est pas intéressé par la création de longs-métrages qui contentent gentiment tout le monde. Il cherche le viscéral, à faire ressentir le propos de ses œuvres directement dans l’estomac du spectateur. On n’a donc pas du tout été étonné lorsqu’on a ressenti exactement cette sensation devant Kinds of Kindness.
Même si c’est dans la continuité de son œuvre, il s’aventure sur un nouveau terrain : l’anthologie d’histoires structurée par un noyau dur d’acteurs et d’actrices. Ce sont trois récits aux allures de fables qui partagent des thématiques communes telles que la question du libre-arbitre et du conspirationnisme.
Multiples histoires, mauvais film ?
Souvent dans les anthologies au cinéma, il y a un problème d’inconsistance entre les parties. Certaines sont plus faibles que d’autres, cela s’avère quasiment inévitable. Kinds of Kindness ne souffre pas trop de cet aspect. Chacune des trois parties à son intérêt, son ampleur, sa saveur. De plus, malgré l’absence de liant fort, le fait de retrouver les acteurs qui jouent des rôles radicalement différents à chaque fois crée un lien inconscient entre ceux-ci et le spectateur. Ce qu’on a vu dans la première partie, on le reporte émotionnellement sans s’en rendre compte sur la seconde et ainsi de suite.
D’un niveau égal ne signifie pas qu’on n’a pas de préférence. Cette dernière se retrouve dans la seconde partie : un récit terriblement drôle et dérangeant sur un homme convaincu que ce n’est pas sa femme qui est revenue auprès de lui après sa disparition en mer. Quelque chose de viscéral se développe petit à petit et du rire, on passe à l’horreur. Bref, la pure définition de la « magie Lanthimos ». On ressent par les tripes et pas par l’intellect (du moins à l’instant du visionnage).
Quand la croisière s’amuse
Depuis quelques projets, Lanthimos travaille régulièrement avec les mêmes collaborateurs. On pense évidemment à Emma Stone qui, après la Favorite et bien entendu Pauvres créatures, continue de s’aventurer avec une joie communicative dans l’univers barré du cinéaste. À ses côtés, le fabuleux Jesse Plemons (Breaking Bad, Killers of the Flower Moon) livre une prestation hors pair dans chacun des segments. Sans oublier le reste du casting tout aussi excellent (Margaret Qualley, Willem Defoe, Hong Chau…).
Pourtant, si pris au premier degré, il y a un aspect absolument terrifiant dans chaque récit, mais il en ressort que les acteurs donnent de leur personne pour incarner les personnages avec de l’entrain et du second degré. Clairement, le tournage a dû être très drôle ! Il n’en demeure pas moins que du fait de sa structure et de ses histoires glauques et absurdes, il faut accepter le postulat de départ de Kinds of Kindness, sinon on risque de s’ennuyer profondément pendant les 2h44 du film.
Réalisation incroyablement viscérale
Heureusement, s’il y a un domaine dans lequel Lanthimos excelle, c’est bien dans le travail de mise en scène, ce qui lui permet de faire passer la durée du film comme une lettre à la poste. Le cinéaste déborde de créativité tout en restant cohérent à tous les niveaux. Que ce soit dans les décors, les costumes ou les choix de chien (vous comprendrez en regardant Kinds of Kindness), tout est choisi impeccablement.
Travellings sophistiqués, grands angles, longues focales, compositions géométriques soignées… Le cinéaste a un style très hétéroclite, mais qui fonctionne étonnamment bien. Il n’y a pas un plan à jeter chez Lanthimos, par contre il y a une idée de cinéma par plan. Son génie visuel rappelle par moments des cinéastes perfectionnistes tels que Stanley Kubrick et rien que d’y penser c’est peut-être le plus beau compliment qu’on puisse faire à un réalisateur.
Néanmoins, ce n’est probablement pas le plus grand film du cinéaste du fait de son ampleur limitée, mais Kinds of Kindness s’inscrit merveilleusement bien dans sa carrière. Cela fait du bien d’avoir un réalisateur avec un penchant pour le féroce et le troublant, à une époque où la production de films médiocres et fades explose à cause du streaming. Comme pour chaque film de Lanthimos, il faut accepter d’entrer avec confiance dans son monde, sans oublier de garder son second degré bien avec soi. Si c’est le cas, il nous retourne gentiment l’estomac pour notre bien et au final, on passe un très beau moment de cinéma.
Kinds of Kindness sort le 26 juin 2024 dans les salles obscures.
Retrouvez toutes nos critiques du Festival de Cannes 2024 ici.
Avis
Sans être le plus grand film de son cinéaste, Kinds of Kindness est un sacré morceau de cinéma : c'est féroce, drôle et totalement absurde. La collaboration Emma Stone/Yorgos Lanthimos fonctionne toujours aussi bien et on en redemande !