Antigone est une adaptation moderne, puissante et électrique de la célèbre tragédie grecque de Sophocle.
Antigone est l’une de nos belles surprises de ce Festival d’Avignon. Si vous n’avez pas d’affinités particulières avec le théâtre classique et/ou la mythologie, et que vous auriez plutôt tendance à ne pas considérer ce genre de pièces, alors restez ! Car cette adaptation aussi surprenante que réussie risque fort de vous donner précisément l’envie du contraire !
Antigone comme vous ne l’avez jamais vue !
Le mythe est celui que l’on connaît… à quelques adaptations près par lesquelles la compagnie Le Vélo Volé est venue marquer l’œuvre de son empreinte. Un brillant travail d’écriture collective et d’adaptation de François Ha Van qui vient insuffler une modernité décapante à ce récit millénaire, et nous invite à découvrir quelques angles morts du mythe tel qu’il est habituellement raconté.
On y découvre par exemple un échange poignant entre Antigone et sa sœur tandis que cette dernière essaye de la résonner pour l’empêcher de mener à bien son projet, tout en lui témoignant son affection sans faille. « N’oublie pas, nous sommes femmes, nous n’aurons jamais raison contre des hommes. » tente-t-elle de la convaincre. En vain bien sûr, car Antigone est une femme courageuse, déterminée et révoltée que rien n’arrête. Pas même un homme, pas même un roi, pas même la mort…
Un mythe qui traverse le temps
Mais, avant de poursuivre, quelques rappels pour celles et ceux qui, comme nous, n’avaient pas révisé leurs classiques avant de venir ! Rassurez-vous toutefois, il n’est pas utile de connaître le mythe sur le bout des doigts pour entrer dans l’histoire et saisir ses enjeux, même si cela peut aider à y voir un peu plus clair dès le début.
Antigone est donc la fille incestueuse d’Œdipe, roi de Thèbes. À la mort de ce dernier, deux des frères d’Antigone, Polynice et Etéocle, se partagent le pouvoir… jusqu’à finir par s’entretuer. C’est alors Créon, le plus proche parent, qui s’empare du trône et va devenir le principal ennemi d’Antigone. En effet, celle-ci veut que ses deux frères soient enterrés dignement, ce qui n’est pas de l’avis de Créon qui promet la mort à quiconque tentera d’ensevelir la dépouille de Polynice abandonnée aux bêtes sauvages. Pour Antigone, rien ni personne ne peut se placer au-dessus de la volonté des Dieux, et la jeune femme est prête à prendre tous les risques…
Une adaptation bluffante
On se laisse embarquer dans ce récit dès les premiers instants. C’est d’abord la présence littéralement magnétique de Romain Arnaud-Kneisky dans le rôle du coryphée, le chef du chœur, qui nous happe. Celui-ci intervient tout au long de la pièce, à la fois comme conteur et comme conseiller de Créon. Son élégance, son charisme, mais aussi son interprétation et cette manière de jouer avec les rythmes viennent une fois de plus témoigner du talent de ce comédien hors-pair, que l’on retrouvera d’ailleurs dès la rentrée dans l’une des pièces à succès de ce Festival, Lumière. La force de sa présence, même muette, et la puissance de ses propos sont à nos yeux l’atout majeur de ce spectacle.
Le talent est toutefois partout dans cette pièce d’une intensité folle. Hoël Le Corre, que nous avions découverte en 2019 dans sa superbe incarnation du chef d’œuvre de Saint-Exupéry, Le Petit Prince, prend ici encore de l’envergure. La comédienne nous a subjugués par sa présence et la dramaturgie de son jeu. À ses côtés, Yann Guchereau apporte quelques accents comiques au récit, Laurent Suire campe un Créon dont les nuances se dessinent peu à peu, et Morgane Touzalin, en alternance avec Emma Bousquet, dévoile une jolie sensibilité.
« Il n’y a pas de honte à s’instruire sans cesse et à réformer son jugement. »
La musique live de Pierre Bienaimé accompagne d’une tonalité rock décapante une scénographie aux bords tranchants. Quelle modernité ! Quelle puissance ! Tout concourt à installer une atmosphère à la fois sombre, mystique et formidablement contemporaine. Ce qui permet d’ailleurs à certains propos de résonner très fort dans notre époque. On ressort de cet Antigone tout ébouriffé, admiratif et conquis.
Antigone, de Sophocle, adaptation Cie Le Vélo Volé, mise en scène François Ha Van, avec Romain Arnaud-Kneisky, Yann Guchereau, Hoël Le Corre, Laurent Suire, Morgane Touzalin en alternance avec Emma Bousquet, création musicale et interprétation live Pierre Bienaimé, se joue du 29 juin au 21 juillet 2024 à 19h35 (relâche les lundis) à La Scala Provence.
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Avis
Cette adaptation toute en puissance et en beauté nous a donné envie de nous intéresser davantage aux œuvres mythologiques et d'explorer davantage les lectures qui peuvent en être faites au théâtre. Voilà l'un des signes d'un spectacle réussi : faire naître l'intérêt et la curiosité là où ils ne s'étaient encore jamais manifestés, ouvrir une porte...