En cette édition 2025 du Festival de Cannes, Christopher McQuarrie, scénariste et réalisateur des derniers opus de la saga Mission : Impossible, s’est livré à l’exercice de la masterclass, rejoint à la surprise générale par Tom Cruise. Un échange foisonnant orchestré par Didier Allouch, plongeant au cœur de leur processus créatif, de leurs philosophies cinématographiques et des défis d’une industrie en pleine mutation.
Il est rare de voir un cinéaste, essentiellement connu pour des blockbusters comme les Mission : impossible, se retrouver dans le temple du cinéma d’auteur mondial pour parler de l’art cinématographique. Christopher McQuarrie est revenu pendant environ 1h30 sur ses influences, son style et sa volonté de toujours évoluer dans son processus créatif.
Didier Allouch a très vite entamé la conversation à propos de l’influence du film noir sur sa carrière, si palpable dans son œuvre qui, selon Christopher McQuarrie, serait instinctive, presque inconsciente : « C’est quelque chose que j’ai dans le sang« , racontant n’avoir fait un film noir avec Usual Suspects (dont il est scénariste) que lorsqu’un ami le lui a fait remarquer après une projection de Romeo is Bleeding. La reconnaissance était loin d’être gagnée pour Usual Suspects, qui est considéré comme aujourd’hui comme un film culte, mais qui n’a pas rencontré le succès escompté à sa sortie dans les salles obscures. C’est grâce à la diffusion en format physique qu’il a trouvé sa place dans la course aux Oscars. McQuarrie doute cependant qu’un tel film, avec son twist final mémorable, puisse connaître le même destin aujourd’hui : « Il serait très difficile à l’ère d’Internet et de cette sorte de méta-conscience du cinéma de surprendre les gens« .
L’artisanat hollywoodien en question
Abordant la crise des films à budget intermédiaire, McQuarrie a souligné les paradoxes du streaming : une opportunité d’expérimentation sans la pression du week-end d’ouverture, mais aussi un danger pour l’expérience collective de la salle. « L’échec est une partie essentielle du succès« , évoquant son propre parcours, de l’échec formateur de Way of the Gun – « J’ai plus appris de l’échec de ce film que du succès de tous les films que j’ai faits depuis » – à sa flexibilité pour alterner écriture et réalisation. Il a également partagé sa vision d’un cinéma qui transcende la dichotomie artiste/artisan : « Comment puis-je enrichir et engager ? Mon message ne vaut pas la peine d’être raconté si seulement cent personnes viennent le voir« .
Pour lui, la survie du cinéma passe par un soutien mutuel au sein de l’industrie. « Top Gun Maverick est un dépôt », une œuvre conçue pour ramener le public en salles et ainsi permettre à des films plus modestes tels qu’Anora d’exister. Il s’inquiète de voir l’histoire du cinéma « enterrée sous une couche sédimentaire de contenu contemporain » par des plateformes qui ne mettent pas suffisamment en valeur le patrimoine cinématographique – ce qui est plus qu’un euphémisme à une époque où on parle plus aisément de création de contenu que de création d’œuvre.
Duo de choc avec Tom Cruise
Il est évident que l’arrivée de Tom Cruise a permis à cet entretien d’explorer l’une des collaborations les plus fructueuses du cinéma d’action contemporain. Leur entente ? : « Un amour commun du cinéma », selon McQuarrie. Tom Cruise : « Nous aimons les films, nous aimons raconter des histoires. C’est aussi simple que ça« . Le cinéaste a souligné la curiosité insatiable de la star et sa capacité à mettre en valeur ses partenaires. Le processus d’écriture de Christopher McQuarrie s’adapte à l’acteur : « Nous engageons littéralement des gens talentueux et nous nous écartons de leur chemin ». Cruise a renchéri : « C’est comme ça que j’ai appris à faire des films », insistant sur l’importance de construire le personnage avec l’acteur.
La discussion s’est ensuite orientée vers la complexité de la mise en scène d’action. « La clarté et la géographie sont notre mantra », a affirmé le réalisateur, expliquant que l’action n’est que spectacle sans personnage. La séquence du sous-marin dans Final Reckoning, dernier opus en date (la critique à retrouver ici), a été citée comme un exemple de défi technique et physique : « un écosystème à part entière » logé dans un cardan submersible de mille tonnes. « Nous savions pertinemment que nous ne savions pas ce qui se passerait lorsque nous allumerions cette chose », a avoué McQuarrie.
Toujours plus haut
Les cascades, toujours plus audacieuses, naissent parfois d’idées inattendues, comme celle inspirée par une vidéo TikTok montrée par McQuarrie à Cruise. Il faut dire que ce dernier est loin d’être paralysé par la peur pour aller toujours plus loin dans ses cascades : « C’est juste une émotion pour moi… ça ne me dérange pas. J’apprécie« . Le cinéaste, lui a livré une anecdote sur la séquence de voltige en biplan, où Cruise, seul à bord, gérait le pilotage, la lumière (en positionnant l’avion par rapport au soleil) et même la mise au point de la caméra. « Personne sur terre ne peut faire ça à part Tom Cruise« , a conclu McQuarrie, dans un exercice de félicitations réciproques. En soi, les thèmes de la franchise Mission : Impossible, notamment « choisir, accepter et bonne chance« , mots-clés identifiés par le coscénariste Eric Jendresen, résonnent profondément avec leur expérience de création, particulièrement durant la pandémie et les grèves.
Ce rendez-vous fut donc un riche témoignage de deux artisans au sein d’une industrie qui essaye de repousser les limites du spectacle hollywoodien pour offrir au public une expérience cinématographique totale – même si derrière ces belles paroles, on reste sceptique à la vue de Mission: Impossible – The Final Reckoning…