Présents en compétition officielle pour chacun de leurs films depuis 1999 (Rosetta, lauréat de la Palme d’or), les frères Dardenne continuent leur exploration des problèmes de société avec l’envie de faire réagir les spectateurs. Pari à moitié réussi avec Tori et Lokita.
Tori et Lokita sont des réfugiés qui vivent en Belgique dans un centre d’accueil. Lokita est une adolescente et Tori son « petit frère » (on ne sait pas très bien si leur relation est véridique au début de l’histoire). Le lien entre eux est très fort, c’est une fine équipe et ils sont toujours prêts à s’entraider. Le problème, c’est qu’ils ont des dettes envers un passeur peu scrupuleux (pléonasme) et sont obligés de travailler pour un dealer local peu sympathique (euphémisme).
Du cinéma qui tourne autour des personnages
Comme à leur habitude, les Dardenne mettent en avant la performance de leurs acteurs principaux avec une mise en scène épurée au possible. Et cela marche remarquablement bien. Les deux gosses sont parfaits de bout en bout, portant le film haut la main. Accompagné d’un montage sec et dynamique, les cinéastes captent des instants, des émotions, une énergie dans la façon de se mouvoir de ces deux enfants bourrés de force de vivre, mais écrasés par la société. Dénué d’esthétisation (mouvements de caméra simples, éclairage à l’aspect naturel brut et un montage qui ne se montre pas), les acteurs sont livrés à eux-mêmes. C’est là l’art ultime des Dardenne qui ont perfectionné leur méthode au fur et à mesure de leur carrière jusqu’à parvenir constamment à obtenir de magnifiques performances de leurs interprètes. Qu’importe que les plans ne soient pas « beaux » et sophistiqués : l’essence du cinéma réside dans les personnages et dans l’histoire dont ils sont la colonne vertébrale.
Méthodique, trop méthodique
La rigueur n’est pourtant pas toujours de mise dans Tori et Lokita. Hélas, les cinéastes cherchent constamment à dénoncer un système inhumain et tombe par moment dans le manichéisme. Mais ce n’est pas tout, car ils ne sont pas très habiles également avec leurs ellipses et la logique pure et simple dans le récit. À certains instants, ils prennent le temps de montrer la logique derrière tel ou tel action comme lorsque Tori cherche à retrouver le lieu où se trouve sa sœur. Néanmoins, certains détails semblent manquer afin de favoriser le rythme et le cheminement narratif. Ce n’est pas dérangeant de demander au spectateur de combler les trous dans un récit – il n’est pas bête – par contre c’est une autre chose que de tomber dans la facilité avec pour seul but de livrer une morale qui manque cruellement de finesse et de nuances.
Paradoxalement, la « méthode Dardenne » est ce qui fait la force et la faiblesse de Tori et Lokita. Tous les films qu’ils réalisent depuis de nombreuses années se ressemblent et ont cette même force humaniste. Sauf qu’à force d’en faire une méthode, les cinéastes ne se remettent plus véritablement en question, ils n’évoluent plus quitte à perdre un aspect fondamental de leur œuvre : le réalisme. C’est quelque peu embêtant pour des réalisateurs ancrés dans le réel et la dénonciation de la misère sociale.