La métamorphose des cigognes est un seul-en scène délicat qui nous emmène au cœur de l’intimité d’un homme.
La métamorphose des cigognes est notre première belle surprise de l’année ! À vrai dire, nous ne savions pas vraiment à quoi nous attendre, intrigués par ce titre, ce thème, cette approche…
Mais nous avons finalement fort bien fait d’être curieux ! Car Marc Arnaud nous offre ici un bien joli moment, à la fois profond, drôle et poétique, autour d’un sujet inédit au théâtre : la PMA. Un homme entre sur scène. Le décor ? Un gobelet posé sur un tabouret. Dans ce gobelet, il va devoir éjaculer. Pendant ce temps-là, sa femme est au bloc pour une ponction des ovaires. Ensemble, ils vont recourir à une fécondation in vitro. Enfin, à condition qu’il parvienne au bout du protocole que lui a longuement expliqué l’infirmier… dont la patience va d’ailleurs peu à peu s’éroder.
Un humour tout en finesse
Marc Arnaud jongle habilement avec les émotions. Il parvient à dédramatiser le sujet sans lui faire perdre sa profondeur ; à nous émouvoir tout en conservant une certaine pudeur ; à nous faire réfléchir sans donner ni leçon ni « bonne » réponse. Et surtout, à nous faire rire sans jamais basculer dans la lourdeur ni la vulgarité. Ce qui, au vu du sujet, relève presque du miracle ! Ou du talent, plus probablement.
Il y a déjà ce fameux protocole en quatre étapes, techniquement moins simple à exécuter qu’il n’y paraît ; cette succession de souvenirs coquasses qui s’invitent et jouent les trouble-fêtes ; et cette galerie de personnages parfois loufoques, tous très convaincants et incarnés avec précision, qui concourent chacun à leur manière à nous aider à mieux saisir le cheminement intérieur de cet homme seul (ou presque !) face à son gobelet…
Drôle et poétique
Pour autant, si l’on rit souvent, ce n’est pas d’un spectacle d’humour qu’il s’agit. En effet, le thème est profond, le propos touchant et instructif, et le jeu d’une grande sincérité. Et surtout, les touches d’humour sont parfaitement dosées et dispersées, ce qui permet non seulement de donner du rythme à la pièce, mais aussi de créer une proximité avec le public.
« Premier bébé éprouvette en 1978 en Angleterre. Avant cette date là si tu éjaculais dans un gobelet, eh bien tu éjaculais dans un gobelet mais ça n’avait aucune conséquence, c’était porteur d’aucune promesse »
Ainsi, que l’on soit personnellement concerné(e) par le sujet ou non, on est captivé de la même manière. Et on se laisse toucher par les notes de poésie qui s’invitent çà et là dans le texte, les jeux de lumière et la mise en scène ; par certains personnages aussi comme celui de cet infirmier que sa patience et sa bienveillance rendent attachant tandis que son pragmatisme nous décroche de nombreux sourires.
Une construction habile et efficace
La réussite de ce seul-en-scène autobiographique tient également à sa construction intelligente qui créé un ensemble fluide, harmonieux, rythmé. En effet, notre esprit ne quitte pas un instant cette « studette de 7 mètres carrés » dans laquelle nous avons l’impression d’être enfermé avec cet homme en proie à mille peurs et questionnements existentiels. Rien n’est superflu, si bien qu’après plusieurs jours, chaque scène nous est restée en mémoire avec la même précision.
Et, si nous ne pouvons bien évidemment pas la dévoiler, impossible de ne pas parler de cette fin… L’auteur a certainement fait là le choix le plus intelligent, celui qui permet de prendre du recul par rapport à l’expérience personnelle d’un homme – la sienne – pour donner au propos une résonance universelle. C’est poétique, délicat et original, à l’image de l’ensemble de la pièce finalement.
Marc Arnaud n’a clairement pas volé son Molière du meilleur spectacle seul en scène 2022.