Il n’est pas rare qu’un film soit plus passionnant pour ce qui s’est passé autour de lui que pour ses qualités intrinsèques. C’est fondamentalement le cas du Conquérant avec John Wayne et produit par l’excentrique millionnaire Howard Hughes dont c’est la dernière production.
Bienvenue en 1956, une période de l’Amérique où faire incarner l’empereur Mongol Gengis Khan par le cow-boy le plus le célèbre du cinéma ne soulève aucun problème éthique. Le récit du Conquérant est une sorte de préquel de l’homme avant qu’il ne devienne l’empereur de la moitié du monde connu. Comme souvent à l’époque, l’histoire n’a rien à voir avec l’Histoire. L’important pour Howard Hughes et l’ex-acteur devenu réalisateur Dick Powell, c’est de proposer un spectacle sans commune mesure.
Décor de western dopé au champignon atomique
Fort de ses 6 millions de dollars de budget – ce qui est stratosphérique pour l’époque – le « sympathique fou furieux » qu’est Howard Hughes (selon les dires très justes de l’historien du cinéma Patrick Brion) voit les choses en grand. Le tournage a lieu au beau milieu de nulle part… aux États-Unis. Outre l’aspect folklorique d’avoir des décors de western américain pour un film qui se passe normalement de l’autre côté du monde, le problème c’est qu’à quelques encablures de l’endroit du tournage se trouve un lieu tristement célèbre pour ses essais nucléaires aériens, Yucca Flat…. Résultat des courses : 91 personnes sur 220 se retrouvent avec des cancers à différents stades de leur vie, soit trois fois plus que la moyenne nationale. Toutes les stars y passent : le réalisateur Dick Powell, l’actrice Susan Hayward et bien entendu John Wayne. Peut-être qu’ils ne sont pas tous morts directement d’un cancer lié au tournage, mais néanmoins c’est frappant. D’où la légende que le Conquérant est l’un des films les plus meurtriers de l’histoire du cinéma, mais aussi celui qui a tué John Wayne.
Mais revenons à nos moutons et parlons du film. Quitte à mourir pour une œuvre, autant qu’elle soit un chef d’œuvre, n’est-ce-pas ? Eh bien pour faire court : non, on en est loin. Le Conquérant possède une panoplie de défauts qu’il est difficile de citer de manière exhaustive. Bien évidemment le choix d’acteurs occidentaux pour incarner les Mongols fait tristement sourire, mais il faut juger le film par rapport à sa période.
Passionnant objet identifié cinéphile
Fondamentalement, ce récit de Gengis avant Gengis ne se révèle pas très intéressant, y compris dans ses scènes d’actions qui manquent cruellement de panache. Le scénario est écrit par Oscar Millard qui n’a aucune idée de ce qu’il raconte, profitant de l’ignorance totale – ou du désintérêt profond pour la réalité historique – d’Howard Hughes et de Dick Powell. Cela n’est guère mieux écrit du côté des personnages avec en tête le rôle féminin incarné par Susan Hayward qui est tristement mal conçu, servant littéralement de meuble à l’histoire. Un beau meuble pour lequel les protagonistes s’entretuent avec des valeurs hollywoodiennes d’un cliché absolu. Le rôle était déjà embarrassant pour l’époque, on vous laisse imaginer ce qu’il en est pour nous actuellement.
On note néanmoins la présence de l’embryon d’une bonne d’idée avec la relation entre Gengis et son frère, faite d’amour fraternel et de quiproquos. Et malgré la réputation du rôle de John Wayne d’être un des pires choix de casting de l’histoire du cinéma, l’acteur est loin d’être mauvais dans son interprétation et met du cœur à l’ouvrage. Il n’est pas bon dedans, mais il s’en sort avec un peu d’honneur.
De ce fait, le Conquérant n’est ni un navet, ni véritablement un nanar, mais il se range dans la catégorie « d’intérêt cinéphile ». On prend un étrange plaisir à la découverte de ce film, entre la fascination pour ce qu’il incarne de l’âge d’or d’Hollywood, et pour son aspect dramatique en dehors.
Si le film a probablement participé à la mort littérale de John Wayne, il ne l’a pas empêché de poursuivre sa carrière et de rejoindre le casting de ce qu’on peut considérer comme ses deux plus grands films : la Prisonnière de Désert et l’Homme qui tua Liberty Valance, tous les deux réalisés par John Ford. Quant-au Conquérant, l’œuvre de Dick Powell reste et restera dans les mémoires du cinéma pour de tristes raisons, mais aussi car il incarne toute l’absurdité, les excès et la beauté d’une époque. Avec cette copie restaurée Blu-ray, le film conserve tout son éclat d’antan. Je vous conseille de regarder la présentation de Patrick Brion, toujours pertinent, en bonus pour vous faire une image complète de la bête.
Le Conquérant est sorti le 3 octobre 2023 en édition Limitée Combo Blu-ray DVD chez Sidonis Calysta.
Avis
L’œuvre de Dick Powell reste et restera dans les mémoires du cinéma pour de tristes raisons, mais aussi car il incarne toute l'absurdité, les excès et la beauté d'une époque. Avec cette copie restaurée Blu-ray, le film conserve tout son éclat d’antan. Entre le navet, le nanar et le film sympathique, c'est un long-métrage à découvrir par pur curiosité cinéphile. Je vous conseille de regarder la présentation de Patrick Brion en bonus - qui est toujours pertinent - pour vous faire une image complète de la bête.
- Film
- Bonus
- Qualité du Blu-ray