Cette année au Festival de Cannes 2023, les documentaires ont la part belle en compétition et hors-compétition (Occupied City). Le moins qu’on puisse dire, c’est que les cinéastes apprécient les documentaires de fond et qui s’expriment dans la durée. Le réalisateur chinois Wang Bing (Les Âmes mortes, Le Fossé) s’inscrit dans ce phénomène avec un documentaire immersif, Jeunesse (le printemps) de plus de 3h30 sur la vie des ouvriers d’un complexe de manufactures en Chine. Accrochez-vous.
De 2014 à 2019, Wang Bing a tourné à l’intérieur d’une zone industrielle spécialisée dans le textile pour explorer en profondeur le quotidien des employés immigrants. Travaillant sans relâche dans des conditions extrêmement rudes, la vie de ces jeunes hommes et femmes font passer la plus grosse journée de travail de notre vie pour une partie de plaisir. De la misère évidente qui transparait dans chaque environnement, de l’esclavagisme sociétal aberrant qui s’en dégage, Wang Bing réussit à ne pas sombrer dans un excès de misérabilisme en montrant la camaraderie et les relations amoureuses qui cimentent les interactions entre les ouvriers. Le résultat est un portrait complexe, une photographie à un instant T de la société chinoise qui est totalement unique.
Sans artifice
Jeunesse (le printemps) en impose par son tour de force narratif : aucune voix-off, aucune interview, aucune musique extra-diégétique (non présente à l’image)… Bref, rien de superflu. On se retrouve avec le caméraman, sa caméra et la vie qui se déroule sous ses yeux et celui de l’objectif. Cette approche radicale, qui rappelle les documentaires de Raymond Depardon, trouve dans ce récit sa parfaite justification. Méthodiquement, atelier par atelier, le regard de la caméra capte des instants, des dialogues, des disputes, des mots doux… On a la sensation de ne pas observer ce quotidien à travers le regard d’une caméra, on a l’impression d’y être.
Pourtant, ce problème est inhérent au genre documentaire, qui malgré toute la bonne volonté du monde a toujours une part de fiction. Mais le cinéaste s’efface et disparaît dans la masse d’ouvriers. Ces derniers parfois jettent des coups d’œil à la caméra, acceptent d’être suivis mais oublient la caméra 90% du temps. Cela se ressent dans ce que l’on voit. Cet état fantomatique de la caméra n’aurait pas été possible sans la dure labeur de Wang Bing et de son équipe avec 5 ans de tournage afin d’être accepté parmi les ouvriers, mais aussi par le patronat (ce qui n’est pas une mince affaire). Qui plus, il tourne le film sans l’aide du gouvernement chinois qui apprécie probablement peu son travail documentaire chirurgical sur une certaine Chine que l’État préfère masquer.
Adapté à un cercle restreint de spectateurs
Il serait mentir que de ne pas admettre que la vision de Jeunesse n’est pas de tout repos. Ou alors, au contraire parfaitement adapté pour une sieste revigorante. En effet, la longueur de l’œuvre se fait rudement sentir et le caractère répétitif des séquences use le spectateur. Étonnamment, c’est à la fois le plus grand défaut et la plus belle qualité de l’œuvre, la fatigue visuelle nous fait ressentir pleinement le quotidien usant des ouvriers. Au final, on se retrouve immergé comme jamais dans cet univers, si lointain pour nous. Plus on avance dans le récit, plus ce monde semble sensible comme si on pouvait le toucher du doigt.
Jeunesse (le printemps) se révèle donc être une œuvre radicale, certainement pas adaptée à tous les publiques. Elle demande une attention longue en faisant le portrait de nombreux ouvriers et répète inlassablement des scènes qui ne sont jamais les mêmes mais qui se ressemblent. Bref, un document fabuleux pour son témoignage des plus authentiques sur la société chinoise à une époque spécifique, mais difficile d’accès. De plus, il est bon de mentionner que ce long documentaire se révèle être que la première partie d’une série de quatre documentaires !
Jeunesse (le printemps) sort au cinéma le 3 janvier 2024. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes 2023 ici.
Avis
Jeunesse (le printemps) se révèle donc être une œuvre radicale, certainement pas adaptée à tous les publics. Elle demande une attention longue en faisant le portrait de nombreux ouvriers et répète inlassablement des scènes qui ne sont jamais les mêmes mais qui se ressemblent. Bref, un document fabuleux pour son témoignage des plus authentiques sur la société chinoise à une époque spécifique, mais difficile d'accès.