Guerre est l’adaptation théâtrale sous forme de monologue de l’incroyable roman inédit de Louis-Ferdinand Céline.
Guerre est une œuvre brute, saisissante, qui nous emmène au cœur de l’atrocité de la guerre. À mi-chemin entre récit autobiographique et roman, cette œuvre de Céline est pour la première fois portée sur scène.
Nous avions manquée, lors du dernier Festival d’Avignon, cette pièce dont nous entendions tant de bien. Enfin, c’est surtout le nom d’un comédien qui était entre toutes les lèvres : Benjamin Voisin. César du meilleur espoir masculin en 2022 pour le film Illusions perdues de Xavier Giannoli après avoir été remarqué dans dans Été 85, de François Ozon, il monte pour la première fois sur le planches pour donner voix à ce monologue captivant.
Un soldat au milieu des bombes
Dans une pénombre que vient, en arrière-plan, éclairer un horizon rouge feu embrumé, sur un sol terreux, un jeune soldat tente de se réapproprier son corps meurtri mais vivant, sous les obus, dans le bruit de la guerre qui résonne sans cesse dans sa tête. Debout malgré les douleurs, malgré la faim, au beau milieu des corps éparpillés de tout ceux qui ont eu moins de chance, Ferdinand raconte, tente de réaliser, s’approprie lentement les sensations nouvelles de sa vie abimée, de sa mémoire meurtrie.

Puis, il y a le séjour à l’hôpital, la longue convalescence, les rencontres surprenantes, troublantes parfois, qu’il y fait et qui racontent elles aussi à leur manière tout ce que la guerre a engendré de terrible, d’atroce, d’absurde. « Ces choses-là, ça s’imagine pas. » dit-il.
« J’ai appris à faire de la belle littérature avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais. »
Des rencontres qui racontent aussi la vie qui continue, qui insiste malgré tout. Il y a notamment Cascade, son nouveau compagnon d’aventure, qui prend alors une place importante dans le récit. Tout comme cette déconcertante Mademoiselle L’Espinasse, l’infirmière impudique qui « prend soin de lui » d’une manière des plus entreprenantes ; ou encore Angèle, la femme de Cascade, qui fait tourner toutes les têtes qu’elle croise, celle de Ferdinand y compris. Et puis le traumatisme, toujours là, en filigrane, qui ravive parfois les bruits, les images, la peur.

Sur un plateau aussi habité qu’il est quasiment nu, la mise en scène sobre de Benoît Lavigne et Bérangère Gallot mise sur la subtilité des jeux de lumière qui privilégient la pénombre et suffisent à situer les différents lieux de l’action dans lesquels nous suivons le jeune Ferdinand Destouches. Nul besoin de grands effets à vrai dire… L’incarnation de Benjamin Voisin suffit.
Benjamin Voisin, éblouissant de talent
« Un comédien incroyable », « une performance époustouflante », « il est brillant ! ». Nous sommes donc allés vérifier par nous-mêmes. Tout était vrai. Benjamin Voisin donne vie à ce texte dense et à ses différents personnages avec une intensité, une vitalité et une présence qui nous captivent d’un bout à l’autre. Son visage d’ange et son jeune âge ne l’empêchent nullement d’avoir les épaules assez solides pour un rôle si difficile, dans lequel doit transparaître le vécu, l’expérience de l’horreur.

Son interprétation est précise, juste, et très corporelle. C’est un soldat traumatisé que nous avons face à nous. Son corps se crispe, se tord, souffre. Et sur son visage expressif comme dans ses mots parfois, c’est la candeur d’un enfant qui semble s’exprimer et vient teinter de poésie, de touches d’humour aussi, auxquelles on ne s’attend pas et qui donnent du souffle au spectacle, cette œuvre douloureuse, puissante, sombre, qui dérange parfois.
Car la plume de Louis Ferdinand Céline, à qui l’on doit notamment Voyage au bout de la nuit, ne craint pas d’aller dans l’excès, dans le subversif, qu’il soit question de guerre, de mort, de vie, ou de sexe. Ainsi, c’est une langue crue, violente et triviale qui jaillit de certains passages de cet ouvrage retrouvé en 2020 puis publié en 2022, et dans lequel quelques longueurs s’invitent. Mais dans le texte uniquement, car le jeu, lui, nous garde captivés d’un bout à l’autre.
Guerre, de Louis-Ferdinand Céline, adaptation et mise en scène Bérangère Gallot et Benoît Lavigne, avec Benjamin Voisin, se joue du 12 septembre au 21 octobre 2023 au Théâtre du Petit Saint-Martin.

Avis
Si cette œuvre de Louis-Ferdinand Céline ne nous a pas complètement séduits, impossible pour autant de décrocher de l'interprétation totalement incarnée de ce jeune comédien étonnant. Être bon à l'écran ET à la scène est loin de toujours aller de paire. Mais Benjamin Voisin semble bien décidé à briller partout où il passe.