Eurydice aux enfers nous plonge avec intensité dans une réécriture inversée et très contemporaine du célèbre mythe.
Eurydice aux enfers est une pièce d’une audace et d’une intensité folles qui nous entraîne au cœur des Enfers, à la (re)découverte d’un célèbre conte de la mythologie grecque… ou presque ! Une incroyable épopée pour laquelle l’ancienne salle paroissiale du Théâtre des Carmes, avec son immense charpente en bois et ses murs de pierre, semble avoir été fait sur-mesure. Brillant !
La mythologie grecque revisitée !
Pour être tout à fait transparents, c’est un peu par hasard que nous nous sommes retrouvés à découvrir cette pièce, sans même savoir à quoi nous attendre. Et c’est bien ce qui fait la magie de ce festival ! Se laisser guider par ses goûts, ses choix, mais aussi par le bouche à oreille, la curiosité et l’imprévu. Et ce « non-choix » nous a particulièrement réussi. Si bien qu’on vous le conseille vivement !
Petit rappel du mythe grec pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas. Eurydice est la compagne d’Orphée, un grand poète et musicien. Le jour de ses noces, en tentant d’échapper à Aristée dont elle a repoussé les avances et qui la poursuit, Eurydice est mordue par un serpent d’eau et meurt. Orphée, inconsolable, va alors entreprendre un voyage épique jusqu’aux Enfers pour sauver sa bien-aimée. C’est donc dans ce récit que nous plonge la compagnie L’eau qui dort. À ceci près que les rôles sont ici inversés ! Et c’est Eurydice qui va tout faire pour aller sauver son amant des Enfers…
Eurydice aux Enfers ou le deuil impossible
C’est avant tout de cela dont il est question, évidemment. La perte de l’être cher, les sentiments d’injustice, d’incompréhension… et ce désir féroce, brûlant de défier le destin qui s’empare d’Eurydice. Régulièrement, tout au long de cette remuante épopée, des flashbacks nous ramènent dans les moments de vie à deux qu’ils ont perdu et qui alimentent son courage. Et l’on se met à espérer avec elle que cette erreur du destin puisse être réparée.
Mais pour cela, il lui faudra franchir de nombreux obstacles et défier les créatures fabuleuses, étonnantes, inquiétantes, qui se mettront sur son chemin. Comme Cerbère, gardien de la porte des Enfers qui n’a pas pris de pause depuis 1913 et est devenu aveugle ; le garçon d’ascenseur qui conduira Eurydice jusqu’à la rivière de l’oubli où elle ira chercher « le demi cadavre d’une personne pas tout à fait morte » ! ; sans oublier le Diable lui-même, bien sûr, qui la mettra face à un choix décisif !
Un voyage métaphorique et épique à travers le deuil
C’est une pièce solide, parfaitement aboutie et très riche que nous propose Gwendoline Destremau, à l’écriture et à la mise en scène ; Émilie Bouyssou, Anthony Devaut, Pierre-Louis Gastinel et Louise Herrero (merveilleuse Eurydice) au jeu ; et Arthur Dupuy « aux platines » (admirable performance musicale live qui donne de l’ampleur à l’ensemble) ! Sans oublier Bertille Friderich, à la lumière, et Maxence Rapetti-Mauss, pour les costumes, qui concourent tous deux également à créer – et sans décor ! – un univers très marqué et à nous transporter dans cette fable aussi mythique que mystique, à l’atmosphère lugubre.
L’expérience que cette fabuleuse équipe nous donne à vivre est très inattendue. Notamment pour ce qui est du mélange de registres. À la fois tragique, comique, épique, poétique, burlesque, fantastique, cet Eurydice aux Enfers est une véritable performance scénique et esthétique qui file la métaphore de la descente au plus profond de soi pour traverser le deuil.
« Eurydice va plus vite que la mort, rien ne l’arrête ! »
Si l’on ne se renseigne pas en amont quant à la distribution, on ne peut qu’être surpris de ne voir arriver que quatre comédien.ne.s sur scène au moment des saluts. On jurerait – les costumes aidant – qu’ils sont bien plus à jouer tous ces différents rôles ! Tout fonctionne à merveille. Le rythme ne faiblit jamais, notre imaginaire est célébré. Et nous sommes sortis plus qu’heureux de nous être laissés embarquer dans ce spectacle avec lequel nous étions pourtant persuadés que nous n’aurions aucune affinité.
Eurydice aux Enfers, écrite et mise en scène par Gwendoline Destremau, avec Émilie Bouyssou, Anthony Devaut, Pierre-Louis Gastinel, Louise Herrero, et Arthur Dupuy (musicien), se joue du 5 au 21 juillet 2024 à 18h25 (relâche les mardis) au Théâtre des Carmes André Benedetto.
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Avis
Un pont inattendu se créé entre ce conte mythique, surréaliste, et nos existences contemporaines, entre le réel et l'imaginaire. Inutile d'avoir les références ni de s'intéresser particulièrement à la mythologie pour en saisir le propos. Un spectacle qui parle de deuil, oui, mais aussi et peut-être même surtout de vie et d'amour.