Trop crépues retrace l’histoire du mouvement nappy et aborde, au travers des cheveux crépus, des questions sociétales et politiques larges qui nous concernent tous.
« Être noir en France, c’est passer chaque jour une audition. Prouver que l’on ne correspond pas aux stéréotypes, que l’on est respectable. Les nappies refusent simplement de céder à ce chantage. »
Les cheveux crépus sont l’objet de préjugés nombreux et persistants, ainsi que d’une politisation. Ils possèdent pourtant une véritable histoire, complexe et souvent méconnue. Une histoire à laquelle s’est intéressée la journaliste Aurélie Louchart. Dans Trop crépues, elle nous parle des nappies. Ces filles qui gardent leurs cheveux crépus à l’état naturel, sans les défriser. Mais, au-delà de la question capillaire, c’est la société dans laquelle nous vivons que dépeint ce livre très documenté et passionnant.
Une émancipation salvatrice
C’est dans les années 2000, aux États-Unis, que le nappy, issu de l’union difficile entre Afrique et Occident, apparaît aux États-Unis. Un mouvement qui s’est politisé là-bas ces dernières années mais qui n’avait, à l’origine, aucune revendication politique. En effet, le nappy propose avant tout un nouveau modèle, loin de ceux qui nous sont imposés. Il veut ainsi prouver que se libérer des codes est possible. Que les femmes, qu’importe leur couleur, peuvent simplement être ce qu’elles veulent, sans toujours chercher à rentrer dans une case. Un mouvement plus révolutionnaire qu’il n’y paraissait à sa naissance, dans une société où les discriminations en tous genres liées à l’apparence sont encore tristement nombreuses.
Trop crépues pour être blanches
Et pas besoin d’aller bien loin pour se rendre compte qu’au-delà de la coiffure, c’est encore la couleur qui dérange. Il suffit d’allumer la télévision ou de feuilleter un magazine féminin. Quasi invisible dans les médias, la femme noire a du mal à s’imposer dans un monde qui ne valorise que la femme blanche aux cheveux lisses. Sans parler de tous les clichés liés au corps qui ramènent les Noirs à une prétendue animalité. Et ce ne sont là que quelques exemples de la réalité que dépeint l’auteur, et qui a de quoi bousculer les consciences. Car même si les 50 dernières années ont été plus favorables à la représentation des Noirs (et des femmes !) que les 300 précédentes, on comprend que la société occidentale a encore de beaux progrès à faire…
Des revendications inconscientes
L’auteur nous explique comment cette coiffure, qui ne semble être qu’un choix esthétique, dissimule en réalité des racines historiques et politiques. Car, ainsi qu’elle nous le rappelle très justement : « (…) le beau est construit. Il ne tombe pas du ciel. Il varie selon les cultures, les époques, reflète les codes d’une société… Le beau est tout sauf neutre. » Et il faut garder à l’esprit que, entre l’esclavage, la période post-coloniale, et la colonisation, pendant les 400 années qui ont précédé la naissance de ce mouvement mettant en valeur les cheveux crépus, on a dit aux Noirs que leurs cheveux étaient laids. Un conditionnement qui a fait des cheveux lisses un idéal de modernité pour les Afro-Américains. Et qui a amené les femmes noires à se lisser – en masse – les cheveux, à l’aide d’un produit à base de soude. Un composant utilisé – rappelons-le – pour déboucher les canalisations…
Une mine d’informations
Ce livre est très richement documenté. En effet, il regorge d’informations et d’analyses historiques et sociétales passionnantes et importantes à connaître pour continuer à faire évoluer les mentalités. Car les clichés et préjugés sont malheureusement encore trop nombreux. Et symptomatiques d’une ignorance massive. Ainsi, en s’appuyant sur de nombreux témoignages, extraits de livres, d’articles, de discours, Aurélie Louchart nous aide à mieux comprendre l’évolution des représentations et la lenteur de la décolonisation des imaginaires. « On ne déconstruit pas en dix ans ce qui a été bâti pendant quatre cent ans. » Un ouvrage à mettre entre toutes les mains et coupes de cheveux !