Hafsia Herzi revient par la grande porte avec La Petite Dernière, son 3e long-métrage en tant que réalisatrice mais surtout son premier sélectionné en Compétition officielle du Festival de Cannes. Un récit d’une tendresse infinie, explorant le parcours intériorisé d’une jeune femme musulmane découvrant son homosexualité.
Hafsia Herzi est une actrice qui peut déjà se targuer de figurer au panthéon des comédiennes françaises contemporaines ! Révélée par le superbe La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche en 2007, la provençale d’origine tunisienne-algérienne n’aura eu de cesse de s’incorporer dans une filmographie dense pour y camper des personnages forts. Des personnages forts souvent le fil, à l’image de celui qu’elle incarne dans Borgo (lui ayant valu une belle consécration via le César de la meilleure actrice !).
Pourtant, derrière ce mélange de douceur et de minéralité qui transpire à chacune de ses apparitions, Hafsia Herzi est également scénariste-réalisatrice ! Et après les remarqués Tu mérites un amour (présent à la Semaine de la Critique en 2019) et Bonne Mère (Un Certain Regard en 2021), La Petite Dernière est la porte d’entrée de l’actrice-réalisatrice au sein de la Compétition cannoise.
La Petite Dernière qui devient la première
Un projet qui remonte d’ailleurs à 2021, étant donné qu’il s’agit de l’adaptation du roman éponyme de Fatima Daas. Et tout comme pour son autrice, La Petite Dernière s’attarde sur le personnage de Fatima, une adolescente renfermée sur elle-même de 17 ans à qui tout semble réussir. Le bac est à portée de main, c’est la benjamine d’une grande famille soudée et son petit ami l’a demandé en mariage.
Mais Fatima est une homosexuelle refoulée, incapable de se livrer à qui que ce soit. Désireuse d’explorer de manière plus ample qui elle est vraiment, cette dernière va enchaîner les rencontres et les découvertes en dépit de ces croyances religieuses. On pourrait initialement penser à d’autres récits coming-of-age (Call Me By Your Name, le cinéma d’Andrea Arnold..), ou même au lien avec Kechiche qui avait glané une Palme d’Or en 2013 avec La Vie d’Adèle.

Mais rapidement, Hafsia Herzi prouve dès les premières minutes qu’elle a sa propre identité de cinéaste, filmant de manière extrêmement contrôlée une histoire au-delà de l’intime chez une protagoniste majoritairement mutique. Fatima est par ailleurs interprétée par Nadia Belliti dans son tout premier rôle : une révélation instantanée qu’on a envie de suivre jusqu’au bout du monde.
On tient pourtant une protagoniste peu évidente en terme d’accès au premier abord : banlieusarde au style garçon manqué, casquette toujours vissée sur la tête et allure monolithique constante renforcent l’impression d’inaccessibilité à ses sentiments. Et là est tout le projet de La Petite Dernière, à la fois passage à l’âge adulte, découverte du milieu queer (« 1, 2, 3, vive les lesbiennes ») mais surtout apprentissage de l’acceptation de soi et ses désirs en dépit de toute convention.
Déracinement émotionnel
Un fil rouge thématique qui donne toute sa saveur à cette histoire qui n’a jamais été contée de cette manière : malgré un enracinement profond dans ses convictions musulmanes, Fatima doute d’elle-même concernant ses propres sentiments. Une magnifique (et déroutante) scène-pivot traduira par ailleurs ce sentiment de cloisonnement et d’impuissance constante, alors que le personnage souhaite se confier à l’imam de la Mosquée de Paris afin de mieux comprendre comment se repentir de ses supposés pêchés.
Pour autant, La Petite Dernière conserve une véritable aura universelle, pointant du doigt tout dogmatisme absolu (qu’il soit religieux ou social) bridant tout épanouissement personnel. Et à ce titre, le film parvient via un équilibre constant à ne jamais tomber dans les extrêmes ou le cliché pur. Bien au contraire (mais c’était déjà le cas dans ses précédentes réalisations), Hafsia Herzi capte l’environnement de son héroïne avec un naturel confondant de réalisme (n’hésitant pas à proposer des dialogues crus régulièrement réjouissants).
Mie en scène du sensuel et du désir
Un naturel régulièrement sublimé ceci dit, alors que la caméra d’Hafsia capture chaque geste, caresse ou baiser langoureux avec une aisance qu’on ne lui soupçonnait pas. Une manière de retranscrire ce moment de tension sexuelle ou amoureuse, en particulier ce qui touche à la relation entre Nadia Belliti et Park Ji-min : au-delà des mots, la mise en scène toute en sensualité renforce la puissance du non-dit, du regard et du silence !
Et derrière cette histoire d’amour contrariée, La Petite Dernière est un modèle cinématographique dont la simplicité d’accès cache le fait qu’Hafsia Herzi trouve le bon mot, le bon angle et une justesse de chaque instant pour que chaque photogramme perce peu à peu la carapace de son personnage. Le tout jusqu’à une sublime scène finale entre une mère et sa fille, évitant tout dolorisme ou conclusion facile, comme si le reste de l’histoire appartenait ensuite au spectateur. Un très bon film tout simplement !
La Petite Dernière sortira au cinéma le 1er octobre 2025. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes ici.
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Avec La Petite Dernière, Hafsia Herzi passe dans la cour des grands avec ce récit d'émancipation amoureuse, sexuelle, sociale et identitaire à fleur de peau, via une sensualité et une justesse émotionnelle de chaque instant. Couplée à la révélation de son actrice principale, on tient ni plus ni moins qu'un des grands crus français de l'année !