Après le réussi Blackkklansman il y a 2 ans et plébiscité aux Oscars, Spike Lee revient avec Da 5 Bloods pour Netflix ! Un nouveau long-métrage faisant office de grande réussite !
Spike Lee a toujours traité des inégalités, du racisme et des diverses facettes de l’Amérique des 40 dernières années. Après s’être attaqué au film de guerre en 2008 avec Miracle à St Anna, pour un résultat très perfectible, le réalisateur cette fois avec Da 5 Bloods ! Soit l’histoire de 4 vétérans afro-américains de la Guerre de Vietnam, revenant sur les terres de leur souffrance pour trouver un trésor caché et ramener la dépouille de leur chef d’escouade. En effet, une malle pleine de lingots d’or a été perdue par le gouvernement américain, et les « Bloods » décident de réclamer leur dût, eux qui ont servi de chair à canon dans une guerre inutile aux dommages considérables.
Car si le film arbore une dimension politique évidente, dès l’excellente ouverture avec des images d’époque d’activistes dénonçant les travers d’une Amérique versant le sang (Kwame Ture, Bobby Seale, Aretha Franklin ou même Mohammed Ali pour n’en citer que quelques-uns..), Spike Lee n’oublie pas de divertir. Jamais dans le pamphlet moralisateur ou prosélyte, le propos se fond de manière organique dans une histoire plus riche qu’elle en a l’air !
Film de potes, catharsis des démons du Vietnam, film d’aventure, drame fraternel et familial… Spike Lee convoque tout un imaginaire du film de guerre sur le Vietnam et en fait la diégèse pour livrer son film à lui. Un film singulier au point de vue original, mariant les genres avec aisance. Il y a du Trésor de la Sierra Madre, du Space Cowboys, du Les Rois du Désert, Voyage au Bout de l’Enfer ou même Apocalypse Now (dont Spike Lee est très fan, reprenant la Chevauchée des Valkyries de manière subversive ou tournant une scène dans un réel bar d’Ho Chi Minh portant le nom du film).
C’est tantôt drôle, tantôt émotionnel, tantôt incisif, tantôt violent. Rythmé et prenant également son temps pour nous conter son récit sur 2h et demi, Da 5 Bloods marie scènes de fusillades prenantes, moments de pure déconne entre vieux briscards et réflexion introspective. Jamais dans la victimisation ou la sinistrose lourde malgré les thèmes et sentiments forts invoqués, le film détient une réelle chaleur, incarnée par l’esprit de camaraderie qui en émane.
Da mise en scène
Da 5 Bloods jouit par ailleurs d’une mise en scène réellement maitrisée. Spike Lee reprend tout ce qu’il sait faire avec intelligence, pertinence et efficacité : plans de grue, dolly shots, travelings fluides, facecam (dont un mémorable en dernière partie de film)… Le tout est superbement mêlé à un montage n’hésitant pas à bousculer les ratios. Collages d’images d’archives chocs, vidéos du Vietnam d’époque, flashbacks en 4:3 avec un superbe grain 16mm (1e guerre qui était télévisée et dans ce même format), cinémascope de toute beauté baigné par la chaleur de la jungle…. Une belle photographie que l’on doit à Newton Thomas Sigel (Tyler Rake, Bohemian Rhapsody) !
Ces bascules d’images s’accompagnent de ruptures de ton paradoxalement fluides et pertinentes au sein du récit, renvoyant autant à l’histoire des USA jusqu’aux blessures ouvertes d’aujourd’hui, qu’aux parenthèses sur un point de vue vietnamien. Point de manichéisme, chaque parti a une voix qui s’exprime, à l’image d’autochtones n’ayant toujours pas pardonné les crimes du passé, ou bien les allusions françaises autour de la guerre d’Indochine par Jean Reno (jouant de manière plutôt désinvolte, mais qui sied bien à son personnage).
En parlant du casting : c’est royal ! Reprenant de fidèles collaborateurs ayant joué dans ses précédents films ainsi que des ptits nouveaux, Da 5 Bloods bénéficie de personnages incarnés. En tête on pensera à Delroy Lindo, livrant l’interprétation la plus mémorable de sa carrière ainsi que du film. Souffrant de syndrome post-traumatique, de rapports conflictuels avec son fils venu l’accompagner (excellent Jonathan Majors) et d’une culpabilité incurable, c’est l’électron libre du groupe. Prêt à vriller, il s’agit avant tout de l’élément émotionnel majeur de Da 5 Bloods, se cristallisant par ailleurs autour du personnage de Norman, le chef d’escouade décédé (un Chadwick Boseman impeccable de charisme).
Clarke Peters (His Dark Materials) en pacifiste réfléchi, Isiah Whitlock Jr (The Wire) en rigolo de la bande, Paul Walter Houser (Le Cas Richard Jewell) et Mélanie Thierry (Au Revoir Là-Haut) en humanitaires dénichant les mines de la guerre ou bien Norm Lewis (Un Amour d’Hiver), fermant le quatuor principal. Tous au service d’un film brassant autant la famille, la vieillesse, les regrets, le deuil, l’addiction et bien sûr les inégalités. Oui, Da 5 Bloods est un film de son auteur, à l’énergie et à la gourmandise qui font du bien. On pourra également noter l’intelligence de ne pas recourir au rajeunissement numérique comme The Irishman pour les quelques flash-backs. En effet Spike Lee préfère montrer les soixantenaires tels qu’ils se voient actuellement , comme si ces reviviscences de souvenirs montrent qu’ils ne peuvent plus être les mêmes désormais dans leur introspection. Habile !
Da music
Une vraie cohésion malgré certaines digressions (ou un discret ventre mou avant la dernière ligne droite) et une vraie alchimie entre acteurs, réalisateurs et propos. La cerise sur la gâteau vient évidemment de la bande-son du film, qui comme toujours chez Spike Lee, est utilisée avec un effet maximal. Que ce soient des musiques de Marvin Gaye (notamment de l’album What’s Going On, qui relatait l’expérience traumatique du Vietnam et le retour au pays) ou la superbe BO de Terence Blanchard (fidèle collaborateur du réalisateur depuis 3 décennies, livrant ici une de ses meilleures compositions orchestrales), le résultat épouse parfaitement les images.
Si on évite pas une légère baisse de rythme et un antagoniste plus faiblard, Da 5 Bloods se révèle être un très bon film tout simplement. Traitant avec puissance, pertinence et efficacité son sujet, doté d’un excellent casting,d’une fabrication exemplaire pour son budget de 40M de dollars (cela fait du bien d’avoir de vrais décors, tournés sur place), d’une bande-son d’excellente facture, d’une mise en scène maîtrisée et d’une énergie éclectique rare , c’est LE film à ne pas rater en ce moment sur Netflix. Et lorsque le drame ou l’humour laisse la place à l’émotion pure, on ne peut que valider cette nouvelle pierre à l’édifice que représente la passionnante filmographie de son auteur. Sincère et plaisant tout simplement !