Alors que la Warner encaisse le milliard de dollars au box office mondial avec Barbie, au grand damne de notre collaborateur Kantain, faisant de Greta Gerwig la première réalisatrice à franchir cette barre symbolique, nous vous proposons le versant positif de la critique de ce blockbuster qui nous a fait voir la vie en rose !
Qu’on ne se la cache pas, à première vue le projet de Barbie avait tout pour repousser : Projet arlésienne qui traînait depuis 2014, ajouté à cela le côté mercantile publicitaire et sa campagne marketing, les voyants étaient au rouge (mais relevant du génie si on s’intéresse un tant soit peu à la communication). Mais résumer ce métrage en ce moment sur nos écrans à son contexte serait omettre les points les plus importants : l’arrivée de Margot Robbie et sa société de production LuckyChap Entertainment dans le processus.
Déjà derrière les très intéressants Moi, Tonya ; Birds of Prey et Promising Young Woman, la société de l’actrice met un point d’honneur à raconter des histoires de femmes ou portées par des femmes. Dans cette optique, Margot Robbie prit l’initiative de toquer à la porte de la Warner avec une approche fraîche et personnelle de la poupée : La Barbie stéréotypée vit une vie parfaite à Barbieland au côté des autres Barbies, jusqu’au jour où tout déraille. Pour réparer cela, elle va devoir voyager dans le monde réel, accompagnée d’un Ken, pour retrouver la propriétaire qui joue avec elle… Ajoutons à cela à la barre la réalisatrice Greta Gerwig et au scénario son mari Noah Baumbach, fraîchement sortis du cinéma indépendant New Yorkais, puis nous obtenons ce blockbuster atypique !
Ce trio créatif aura donc eu la bonne idée d’aborder ce projet sous l’angle méta, en s’éloignant des sempiternelles tentatives d’adapter de manière réaliste des icônes pop et en assumant la nature de jouet de son personnage (d’une certaine manière le film se rapproche de Toy Story). Ainsi l’entièreté du catalogue des produits dérivés de Mattel (entreprise fabricante du jouet et productrice du film) apparaît à l’écran mais non pas pour en faire (uniquement) une pub géante, comme on pourrait le croire à première vue, mais pour créer un univers entier qui n’aurait rien à envier à La Grande aventure Lego et où seul l’imaginaire a ses limites.
Come on, Barbie, Let’s go party !
La superficialité plastique côtoie le kitsch du rose flashy pour être le moteur de gags, à l’instar d’un Jacque Tati. Chaque élément entourant la figure de Barbie est tourné en dérision et quiconque aura joué ne serait-ce qu’une seule fois avec la poupée, pourra se reconnaître. Et c’est justement ce que fait la réalisatrice avec ses personnages pantins, s’amusant à les plonger dans des incartades musicales galvanisantes, magnifiquement mises en musique par Mark Ronson, Andrew Wyatt et les multiples artistes qui les accompagnent. Gerwig y montre tout son talent de mise en scène avec un tempo comique au cordeau pour cette comédie d’un nouveau genre. La cinéaste saisit et comprend l’essence de ce qu’est Barbie pour en faire le sujet de son œuvre, décortiquant chaque aspect, aussi positif ou négatif soit-il, de la poupée et son impact sur la société.
En ce sens, nous sommes devant l’adaptation d’un produit consumériste qui a parfaitement conscience de ce qu’il est et fait office de véritable piratage qui, comme le dernier Matrix (aussi produit par la Warner), passe d’une commande purement commerciale ayant démarré en 2014 à une véritable critique moderne de son produit et de la société qui l’a créé. En effet, Mattel en prend quelque peu pour son grade en étant intégré dans la diégèse du film, où toutes ses contradictions (société tenue entièrement par des hommes vénaux mais créant des jouets pour filles) et ses volontés mercantiles sont posées sur pellicules.
Nous convenons bien que la critique de cette entreprise capitaliste, elle-même productrice du film, pourrait être interprété comme une démarche cynique et hypocrite (Mattel assumant ses défauts pour se donner bonne figure sans chercher à s’améliorer) mais c’est oublier que ce blockbuster, ou du moins cette version du projet, aura été impulsé par Margot Robbie elle même. A tel point qu’elle fut surprise que le scénario de Gerwig/Baumbach soit validé par la société. Donc Barbie reste avant tout une œuvre faite par des artistes et nous franchissons le pas, orné de notre notre plus beau talon aiguille, pour affirmer que ce film est un blockbuster d’auteur malgré ses 145 millions de budget.
Pour ceux qui ont vu les films précédents de la réalisatrice, elle s’empare complètement du sujet pour y injecter ses références pointues et le modèle pour le coller à ses thématiques. Car à l’instar de Christine dans Lady Bird et des filles du docteur March dans l’adaptation de 2020, Barbie est aussi en proie à une crise existentialiste où elle veut transcender sa nature vectrice d’idées (de par son existence en tant que jouet) en créatrice d’idées. Sans oublier l’évidence, qui continue à faire couler tant d’encre : l’aspect féministe du métrage.
« Le féminisme n’a jamais tué personne… »
De ce côté, le film enfonce des portes ouvertes. Mais des portes que certains méritent de se prendre en plein visage. Car même s’il fait office de petit guide du féminisme pour les nuls avec la subtilité d’un éléphant rose dans un magasin de plastique ; force est de constater qu’encore aujourd’hui beaucoup trop de personnes ne sont pas sensibilisées à ces questions. Les soulever intentionnellement et consciemment de manière aussi frontale et “rentre dedans” dans un film grand public poussera nécessairement les personnes ciblées dans leur retranchement et même si cela provoque un rejet.
Il suffit de surfer deux secondes sur le net pour se rendre compte que la majorité des critiques émises à l’encontre du film tourne autour des thématiques féministes. Greta Gerwig aura donc réussi à faire passer son message à des gens qui d’habitude ferment leurs esgourdes et qui sait peut-être, à planter une petite graine dans l’esprit de certains. Le film ne tombe en plus pas dans un manichéisme bête puisque Ken, interprété par un Ryan Gosling hilarant, a tout autant un parcours initiatique qui décortique avec intelligence et surtout humour les mécanismes du patriarcat que Barbieland est présenté en miroir déformant de notre monde comme une société matriarcale remise en question.
Barbie est donc un blockbuster original comme nous n’en avions pas vu depuis longtemps. Fait avec cœur et talent, les équipes ont le souci du détail et ont parfaitement conscience de ce qu’ils ont entre les mains. Une conscience qui irrigue le processus créatif sans pour autant oublier de divertir avec un sens comique peu commun mais toujours efficace si tant est que nous avons un minimum de bagage culturel et intellectuel (il laissera de côté le très jeune public). Le film se veut autant engagé qu’inspirant, en prenant le soin de représenter une multiplicité Barbie différentes. Et quoi de mieux que de conclure cette critique avec cette citation de Greta Gerwig : “Si toutes ces femmes étaient Barbie, alors Barbie était toutes ces femmes.”
Barbie est actuellement à voir au cinéma !
Avis
Barbie est un blockbuster unique, qui a le souci du détail, qui met en avant le pouvoir de l'imaginaire et décortique avec humour et malice les mécanismes du patriarcat pour faire un divertissement engagé qui regorge d'inventivité et de (Ken)énergie.