À rendre à M. Morgenstern en cas de demande retrace une authentique enquête familiale qui nous immerge dans l’intime et l’Histoire.
À rendre à M. Morgenstern en cas de demande, c’est ce qu’il est écrit sur un dossier que trouve Sabine dans les affaires de son grand-père, Louis Moulin. À l’intérieur, une centaine de papiers personnels d’un homme dont elle ignore tout, datant de l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Sa vie bascule alors, et l’enquête dans laquelle elle se lance va la mener dans un véritable travail de reconstruction de mémoire.
Après la superbe adaptation de L’espèce humaine, de Robert Antelme, par la talentueuse Anne Coutureau, dont nous vous parlions il y a quelques jours, cette pièce nous livre une approche toute autre de cette période de l’Histoire.
Quand la boîte à souvenirs se change en boîte de Pandore
Louis Moulin était imprimeur à Lyon durant la Seconde Guerre mondiale. Et il avait de toute évidence ses secrets… C’est ce que Sabine découvre en ouvrant un jour la boîte noire ovale en carton bouillie que son père avait rapportée chez eux à la mort de son grand-père sans jamais l’ouvrir… Qui est M. Morgenstern ? Pourquoi et comment les papiers personnels et les photos de famille de cet homme se sont-ils retrouvés dans cette boîte ? Pourquoi son grand-père les a-t-il ainsi conservés avec soin jusqu’à sa mort ?
Bien décidée à retrouver la descendance de cet homme et à comprendre le lien qui unissait ce réfugié juif ayant fui l’Autriche à son grand-père, Sabine se lance dans une enquête de longue haleine. Elle veut reconstruire cette histoire morcelée, libérer sa famille des non-dits et transmettre ce qui peut l’être. Une quête qui prend une tournure presque obsessionnelle, qui se change en devoir.
Un hommage sobre
Sur scène, un bureau vient accueillir les documents dont elle prend connaissance et nous lit des extraits tandis qu’ils sont projetés sur un grand voile blanc. On découvre ainsi des photographies et divers document administratifs (lettres, passeports, certificats médicaux, permis de séjour…) à travers lesquels la jeune femme reconstitue la chronologie des faits. Une histoire personnelle qui témoigne aussi de la grande Histoire et de cette époque effroyable.
Mais assez peu en réalité. Car l’intention n’est pas de laisser l’horreur de la Guerre venir tout recouvrir et ravir notre attention au récit intime du périple de cette famille traquée. Bien sûr, le contexte est là, toujours aussi glaçant. Mais c’est avant tout d’un hommage à ces familles juives exilées qu’il s’agit ; hommage aussi aux démonstrations de solidarité et de courage qui existaient au milieu du chaos.
Une enquête qui suit son cours…
L’enquête se fait, les protagonistes se dessinent, les pièces de puzzle s’assemblent donc. Mais toutes les questions ne trouvent pas de réponse pour autant. Et le dénouement de la pièce est habile à bien des égards. Il ouvre des portes à notre imaginaire, nous fait sourire, met en évidence les interrogations et les doutes qu’une telle entreprise peut faire naître. C’est aussi l’occasion d’un joli moment de complicité entre Frédéric Moulin et Sabine Moindrot.
On ne s’ennuie pas en compagnie de ces deux comédiens justes et attachants, même si l’enquête s’attarde parfois un peu longuement sur des informations très spécifiques. Mais l’intervention çà-et-là de quelques-unes des personnes interrogées au cours de ce travail de recherches, dont notamment les parents de Sabine, vient donner du rythme au récit. Des personnages qui apparaissent sous les traits de Frédéric Moulin qui n’en fait jamais trop, et dont le jeu se teinte parfois d’une certaine malice.
La réalité derrière la fiction
Le thème est profond, mais est abordé avec une certaine légèreté, d’une manière presque informative finalement. Il n’est pas question de chercher à provoquer l’émotion. Ce qui est à la fois appréciable, et nous a en même temps laissés un peu sur notre faim.
Car il nous a manqué de n’avoir pas matière à nous attacher vraiment à ces familles, et notamment à ce fameux Monsieur Morgenstern. Une lacune qu’est toutefois en partie venue combler le bord de scène duquel nous avons eu la chance de profiter à l’issue de la représentation à laquelle nous avons assistée, et qui nous a notamment permis de profiter de la présence et du témoignage du petit-fils de ce monsieur.
De celui de Frédéric Moulin également. Car ce-dernier n’est pas seulement comédien, il est aussi auteur et metteur en scène de cette pièce. Et surtout, c’est de son histoire et de son propre travail de recherches démarré en 2018 dont il est question. Un échange instructif, grâce auquel cette histoire si personnelle et intime nous est alors devenue un peu plus palpable.
À rendre à M. Morgenstern en cas de demande, écrit et mis en scène par Frédéric Moulin, avec Frédéric Moulin et Sabine Moindrot, se joue du 10 au 31 janvier 2023 au Studio Hébertot.
Avis
Si l'ancrage émotionnel nous a manqué pour que cette pièce nous reste longtemps en mémoire, elle n'en est pas moins belle et joliment interprétée. La mise en scène, très sobre, fait demeurer l'enquête au premier plan et nous embarque avec adresse dans le destin de ces familles.