As Bestas est le tout nouveau film de Rodrigo Sorogoyen (El Reino, Madre), présenté au Festival de Cannes 2022. Co-production franco-espagnole, ce western rural se veut d’emblée comme un des coups de poing de l’année. Un thriller viscéral à la mise en scène et à la direction d’acteurs forçant le respect !
As Bestas commence par une séquence relativement cryptique au ralenti, où des paysans immobilisent un cheval au sol pour ensuite lui couper la respiration. Une introduction à multiples effets, véritable fusil de Tchekhov scénographique et annonciateur de funestes évènements à venir. Alors que le titre nous est ensuite révélé, nous découvrons un setting rural en Galice, à l’extrémité nord-ouest de l’Espagne.
C’est dans ce décor à la fois champêtre et aride que nous découvrons Antoine (Denis Ménochet) et Olga (Marina Foïs). Ce couple de français a décidé d’émigrer dans ce décor rêvé, afin d’y cultiver des terres, développer une agriculture bio et rénover d’anciennes bâtisses. Leur projet de vie semble sur de jolis rails, jusqu’au moment où un projet de construction d’éoliennes sur ce même terrain sera mis à mal par ce couple.
Antoine et Olga vont ainsi s’attirer les foudres du voisinage, en particulier Xan et son frangin Lorenzo, diminué depuis un accident de cheval. De ce point de départ qui pourrait être le pitch d’une mauvaise comédie française, As Bestas convoque à la fois le drame à la Peckinpah (on pense pas mal aux Chiens de Paille), l’isolation en territoire étranger tendance John Boorman (Délivrance n’est pas loin) et le western, pour finalement aborder un récit aux problématiques universelles et diablement contemporaines.
Leçon de mise en scène
On connaissait déjà Rodrigo Sorogoyen depuis quelques années, notamment pour ses fresques politiques (Que Dios Nos Perdone, El Reino) ou son Madre. Avec As Bestas, l’espagnol s’impose encore une fois comme un des cinéastes les plus doués et pointus de la nouvelle génération. Faussement sobre, la mise en scène alterne entre cadres méticuleusement pensés et plans-séquences bluffants. Jamais dans la démonstration ou l’exploit cinégénique, on retiendra avant tout une séquence de 10 minutes en plan fixe sans coupe, englobant un débat entre Antoine et Xan et faisant office de véritable point de rupture de l’intrigue.
Alors que les vannes déplacées et insinuations insistantes sont lancées dans le bar du coin, un engrenage se lance face à ce choc des cultures. intimidations verbales, sabotages de récoltes, menaces physiques… la tension se veut permanente et crescendo, accentuée par une musique à base de percussions minimalistes.
Et outre une mise en scène qui nous prend littéralement à la gorge, il faut saluer la superbe direction d’acteurs. Outre Denis Ménochet (Jusqu’à la Garde), conjuguant une force tranquille et une certaine douceur, cela fait plaisir de revoir Marina Foïs (Polisse) dans un rôle aussi exigent et combatif. Ces derniers ont même beaucoup de dialogues en espagnol, afin de favoriser l’immersion. Chez les frères Anta, c’est également du tout bon avec un Luis Zahera (déjà pourvoyeur d’une prestation remarquable dans Que Dios Nos Perdone) complètement habité et terrifiant, épaulé par un Diego Anido tout aussi malaisant.
Xénophobie et nécessité du dialogue
Si la thématique principale d’As Bestas n’a rien de novatrice, le cinéaste nous questionne implicitement, via cette opposition de points de vues. D’un côté un couple de travailleurs peu enclins à laisser le capitalisme souiller la terre de leurs rêves, de l’autre des paysans sans le sou qui voient cette opportunité d’être payé et de s’installer autre part pour un nouveau départ. Si les agissements des locaux est forcément condamnable (et même révoltant), le spectateur parvient cependant à comprendre leur point de vue, offrant ainsi un certain poids loin du mono-dimensionnel.
Ainsi, cette peur de l’étranger et ce positionnement nationaliste sont le terreau d’un affrontement à l’écriture phénoménale. D’abord via un point de vue masculin (avec le gentrificateur cultivé), avant d’opérer un virage surprenant. Une partie beaucoup plus retorse, dramatique, mélancolique et féminine donc, offrant par ailleurs une 5e belle performance d’acteur via la place plus importante de Marie Colomb (jouant la fille d’Antoine et Olga).
« Ton vote ne devrait pas compter, car tu es étranger ». Par cette simple affirmative, As Bestas tisse admirablement son pugilat idéologique aussi vieux que la civilisation, tout en abordant des problématiques toujours actuelles. Malgré sa dimension forcément socio-politique, As Bestas reste avant tout un pur thriller tendu, convoquant le home invasion, le western, le survival, le drame psychologique et un soupçon de polar.
La maestria de mise en scène et de direction d’acteurs suffisent ensuite à en faire une des plus belles découvertes du Festival de Cannes 2022, qui aurait mérité la compétition. Un excellent film tout simplement, et une nouvelle preuve du grand talent de Rodrigo Sorogoyen.
As Bestas sortira au cinéma le 20 juillet 2022
avis
Avec As Bestas, Rodrigo Sorogoyen démontre encore son immense talent de cinéaste, en proposant cet excellent thriller tendu à l'extrême. Porteur de thématiques fortes et toujours contemporaines, c'est une vraie réussite à tous les niveaux, que ce soit en mise en scène, écriture ou acting. Un très bon long-métrage qui nous prend à la gorge, en plus d'un des grands crus de Cannes 2022 !