Avec l’avènement des réseaux sociaux, de multiples initiatives voient le jour pour protéger les séniors. Leur isolement pendant la pandémie mondiale indigne et tord le ventre. Nombreux sont ceux qui s’émeuvent devant la vulnérabilité des personnes âgées. L’aïeule dont il est question dans le livre de Xavier-Marie Garcette est détonante. Madeleine est née dans une famille descendante de la noblesse dans le Limousin. Dans le domaine de Trévizac, elle doit élever seule ses trois enfants, après la mort de son mari. Alors qu’il vient à peine de fêter ses douze ans, Jean, son petit-fils, se retrouve orphelin. C’est dans ce grand domaine qu’elle nourrit, s’occupe de ce petit qui se lance dans l’existence avec quelques difficultés… Tout d’abord, Jean est perçu comme un riche châtelain, associé aux superficialités de la vie. Pourtant, le narrateur parvient à tisser une relation privilégiée et attendrissante avec sa Madeleine adorée. Au sein de cette famille où les membres sont parfois très éloignés ou très complices, cette entraide entre l’ancienne et le petit-fils se bonifie et s’intensifie avec le temps. Alors qu’il atteint l’âge de dix-huit ans, Madeleine se fragilise. Lui, peu habitué aux codes de la bourgeoisie et de la vie des « très riches » peut tout abandonner et se sacrifier pour « grand-mère ».
Dans le roman d’Aurélie Valognes « Au Petit bonheur la chance », le personnage principal s’appelle également Jean. Mais contrairement à Madeleine et son petit-fils qui connaissent une connexion immédiate et jamais tumultueuse, le duo de Valognes semble nettement plus en décalage.
Le narrateur de Trévizac est un adolescent relativement solitaire, en raison de sa situation sociale. Comme il est associé à un nom noble, il souffre de certains préjugés. Pourtant, il adore lire des romans comme Anna Karénine de Tolstoï et a soif d’apprendre, de maîtriser de nouveaux sujets. Cette soif de connaissances le mènera sur les bancs d’une faculté où il fréquente les mêmes cours que le personnage d’Arsène, du clan des Cahuzac. A l’occasion d’un rallye, il croise la route de Blandine. Alors qu’il pense être exclu, car il est peu habitué aux normes mondaines, le narrateur est facilement intégré. Ce caméléon s’adapte à toutes les situations, y compris les plus délicates. En ce sens, il a l’air de s’imprégner de la force mentale de Madeleine… Mais au moment où sa santé s’abîme, c’est tout son univers qui s’écroule. Il envisage le pire, se morfond, commet même des bêtises. Le monde semble lui accorder plus de temps : non, le jour de Madeleine n’est pas encore arrivé ! Comme un signe du destin, cet incident permet la rencontre d’Irina, l’infirmière à en devenir et Jean. La jeune femme est belle : des yeux « violets » et une peau très blanche. Malgré une cohabitation d’abord conflictuelle faite de petites jalousies, Jean finit par capituler.
Dans ses rêves étranges, Madeleine s’obsède pour son mobilier et cette maison. Ainsi, Jean fouille les affaires du domaine, il fait la découverte d’un double fond, qui cacherait un immense trésor ! Pendant la Grande Guerre, de précieux biens ont été dissimulés, alors que la grand-mère était une jeune fille. Cette trouvaille totalement improbable n’est pas si éloignée de certains faits divers. Par exemple, en septembre 2019, un original de Cimabue datant du XIIIe siècle a été retrouvé dans une résidence à Compiègne. Celui-ci a été adjugé à plus de 24 millions d’euros ! Dans ce récit, il ne s’agit pas du peintre italien, mais d’un autre maître qui aurait laissé une trace dans ce château. Mais pour en savoir davantage, il faut absolument découvrir Trévizac par soi-même.
Il ne fait aucun doute que l’auteur Xavier-Marie Garcette s’est fait plaisir en mêlant ses propres souvenirs d’enfant né dans les années soixante, son appétence assumée pour l’Histoire et la culture française — ainsi que les Beaux-Arts. Très attachée à ses souvenirs, la parole de Jean se mélange à la sienne. Après tout, les écrivains insufflent beaucoup de leurs personnes dans leurs œuvres. Une façon de faire perdurer éternellement la mémoire…
Par ailleurs, ce roman aux airs réalistes se lit très rapidement. Au sein des 47 chapitres de Trévizac, le lecteur découvrira de nombreux personnages intéressants ainsi que des enjeux très liés au monde de la « haute société ». Pourtant, loin d’habiter le cliché matérialiste du petit-fils riche et imbu de lui-même, Jean s’avère être un homme attachant. Son rapport à la spiritualité mérite également d’être souligné. Dans les instants où il se retrouve presque sans repère, perdu, l’enfant intérieur cherche le repos, le calme — pour se remettre les idées en place. L’amour est un sentiment qui se cultive, émeut et fait déplacer des montagnes. La disparition de la personne aimée n’altère en rien ce pouvoir. En résulte une histoire originale, belle et juste — dans laquelle les lecteurs et lectrices vont adorer suivre ce duo atypique, qui survit à tous les obstacles.
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