Longtemps dans les startings blocks, Utopia est enfin là ! Après son annulation au bout de 2 saisons, ce projet de remake porté par Gillian Flynn (Gone Girl, Sharp Objects, Les Veuves) était le seul moyen de retrouver cet univers particulier. Produit par Amazon, cette version US n’atteint pas le génie de sa grande sœur brittanique, mais demeure une introduction prometteuse et très soignée !
Avant de s’attaquer au vif du sujet, une piqûre de rappel s’impose ! Utopia est à la base une série anglaise de Dennis Kelly, diffusée sur Channel 4 de 2013 à 2014. À la fois un drame conspirationniste et un thriller teinté d’humour noir, la série nous présentait une galerie de personnages fans d’un comic book dont la fin ne fut jamais publiée. Leur quotidien sera ensuite bouleversé à jamais lorsque ces derniers découvriront que le dit-épilogue existe, alors qu’une obscure organisation souhaite mettre la main dessus à tout prix. Et pour saupoudrer le tout, l’héroïne de la BD en question existe bien !
Utopia est une œuvre télévisuelle formidable à plus d’un titre, aux enjeux vertigineux mais tout à fait contemporains. Malheureusement, faute d’audimat, elle sera annulée au bout de 2 saisons. Un projet de remake américain pour HBO était en projet à partir de 2014, avec David Fincher et Gillian Flynn, fraîchement débarqués de Gone Girl. Si la chaîne n’a pas retenu le projet, Flynn n’a pas lâché le morceau, et 6 ans plus tard cette nouvelle mouture nous arrive sur Amazon Prime. Désireuse de conserver l’essence de l’œuvre tout en se l’appropriant, Utopia version 2020 n’a pas le génie ou la maestria d’antan, mais reste avant tout un revival réussi !
Influencée par Steve McQueen lors de sa collaboration pour Les Veuves, Gillian Flynn voulait faire renaître Utopia, sans faire un bête copié-collé. Concrètement, les évènements de base restent plus ou moins similaires : Ian, Becky, Grant, Wilson et Sam sont 5 nerds fans du comic book Dystopia. Ce dernier met en scène une certaine Jessica Hyde, en fuite depuis l’enfance, poursuivie par « La Maison » (ou « The Harvest » en VO, titre plus approprié). Jessica cherche à tout prix à libérer son père des griffes de Mr Rabbit, le mastermind maléfique de l’organisation. Lorsque Utopia, la suite et fin de Dystopia, sera découverte et mise aux enchères, nos héros vont rapidement découvrir que la BD en question est un puzzle énigmatique, dont les réponses pourraient déterminer l’avenir de l’humanité.
Poursuivis par un consortium capable de manipuler toutes les strates de la société (dont les médias), nos héros malgré eux découvriront que les évènements d’Utopia sont tirés de la réalité, et rencontreront une Jessica Hyde adulte, prête à tout pour faire tomber La Maison et trouver son père. Un terrain connu donc, mais Gillian Flynn crée ici un vrai « remix » de la série originale. Nous retrouvons quelques passages cultes (« Where is Jessica Hyde ? »), et ces 8 épisodes reprennent grosso modo le canevas de la saison 1 originale. Néanmoins, ce remake arrive à trouver sa propre voie, sans singer l’œuvre dont elle est inspirée !
C’est pareil mais c’est différent !
Tout connaisseur de l’univers trouvera ses marques rapidement. Ian (Dan Byrd) l’informaticien introverti, Becky (Ashleigh LaThrop) atteinte du virus Diels, Grant (Javon Walton) l’enfant rebelle, Wilson (Desmin Borges) l’adepte de théories du complot ou bien Arby (Christopher Denham), le tueur renfermé de La Maison. Chacun de ses personnages bénéficie d’une bonne interprétation, permettant d’offrir une caractérisation singulière, sans jamais rester dans l’ombre de leurs aînés. À ce titre, Sasha Lane (American Honey) tire très bien son épingle du jeu ! Campant une très bonne Jessica Hyde complètement asociale, elle porte régulièrement la saison sur ses épaules sans éclipser le reste de la distribution !
Des modifications plus drastiques sont aussi à noter : John Cusack incarne le Dr Christie, figure mondiale de l’industrie pharmaceutique dont on taira l’implication. Il sera entouré d’une équipe de scientifiques à la psyché plus ou moins contrastée, incarnés par Fiona Dourif (Tenet, The Stand) et Cory Michael Smith (Gotham, Carol). Enfin, l’excellent Rainn Wilson (The Office) campe un virologiste manipulé permettant d’offrir un point de vue aux enjeux plus globaux, et Jessica Rothe (Happy Birthdead) un autre personnage inédit au destin surprise. Et si rayon personnages c’est toujours réussi (on omettra 2 retournements de situation amenés un peu trop rapidement par rapport à la série-mère), la forme mérite qu’on s’y attarde.
Lorsqu’on pense à Utopia, on se rappelle évidemment le soin visuel indéniable dont elle bénéficiait. De sa production design atypique et colorée à sa photographie précise et symétrique, en passant par sa mise en scène millimétrée… difficile de ne pas attendre cette nouvelle mouture au tournant ! Plutôt que de rentrer en compétition avec de telles ambitions, Gillian Flynn a voulu partir vers une approche moins esthétisée et plus crue. En résulte donc une ambiance plus réaliste, plus sale, moins intemporelle mais néanmoins soignée. Ce qu’on perd d’un côté on le gagne en véracité contemporaine, sans réellement atteindre le degré de perfection plastique fantasmé.
Si la photographie est moins remarquable, l’utilisation des couleurs vives pour faire ressortir des éléments à l’image est quand même présent à intervalles réguliers, de manière plutôt pertinente et organique. Qu’on soit rassuré : Utopia a peut-être perdu une certaine superbe et un certain cachet, elle reste encore pourvoyeuse d’images soignées. Même en terme de mise en scène, les épisodes les mieux emballés peuvent compter sur Toby Haynes (USS Callister de Black Mirror et la future série Cassian Andor). Enfin rayon musique : Jeff Russo (Fargo, Umbrella Academy, The Night Of) signe une BO énigmatique et efficace (on vous laisse apprécier les sonorités du générique), sans toutefois atteindre la musique de Cristobal Tapia de Veer.
Pandemic-mania
Moins violente que son aînée, Utopia 2.0 conserve tout de même tous les ingrédients qu’évoque son nom. La série reste graphique à intervalles réguliers (pour les néophytes, les 2 premiers épisodes devraient vous vacciner, avec notamment la « scène de la cuillère »). Meurtres, tortures, morts gratuites…personne n’est épargné (même les enfants), sans jamais atteindre l’indigestion malsaine heureusement. Pour un public averti, Utopia demeure un beau terrain de jeu noir et ludique, dont les strates de conspiration abordent des thèmes tangibles, pertinents et d’actualité.
Surpopulation, lobbies industriels, maladies virales et autres pandémies contrôlées…le parallèle avec la vie réelle pourra en déranger plus d’un, mais c’est de cette plausibilité qu’Utopia tire sa force. Il y a peu de joie ou de moments de légèreté, mais la série se veut être un thriller dystopique aux enjeux forts, où la camaraderie des personnages prévaut. Comme dit précédemment, la finesse d’écriture n’est peut-être pas toujours optimale (la manière de manipuler le CDC par les foules en direct pourra prêter à sourire), le tout reste quand même maîtrisé et cohérent.
Les 8 épisodes de cette saison 1 s’enchaînent avec une réelle aisance : aucun bout de gras, et des durées très appréciables de 45-50 minutes. Les connaisseurs et fans de la série originale seront quand même en territoire connus et plus ou moins attendus. Pour les néophytes, Utopia reste toujours une œuvre subversive et prenante, mais surtout bien pensée et efficace. Si on échappe pas à quelques menus scories ou facilités scénaristiques, difficile de faire la fine bouche sur les promesses de son final.
Pas de doute, une 2e saison suivra la substantifique moelle de 2014, en mettant plus en avant le lore de la série, et le mystérieux agent Milner (jouée ici par Sonja Sohn de The Wire). Si Gillian Flynn n’a aucunement transcendé le matériau d’origine, elle a objectivement réussi son coup. À savoir faire un remake bien honorable, en comprenant l’ADN d’Utopia sans le singer, et lui apposer sa propre voix. Cette nouvelle version plaisante est encore dans l’ombre de son aîné (qui était plus folle et singulière), mais ce qui est certain, c’est que la suite se fera attendre !