Il n’est pas si courant d’avoir en compétition officielle du Festival de Cannes, un film d’époque d’apparence classique. Avec Firebrand – Le Jeu de la reine, le cinéaste brésilien Karim Aïnouz adapte une histoire méconnue du règne d’Henri VIII (Jude Law) qui prend le point de vue de sa femme, la reine Catherine Parr (Alicia Vikander). Comme toute bonne histoire sur la famille sanglante des Tudors, jeux de pouvoir et brutalité d’un monde dominé par les hommes sont de la partie !
Le film débute par une annonce qui déclare qu’on écrit l’Histoire sur la guerre et sur les hommes, mais jamais sur d’autres points de vue comme ceux des femmes. Catherine est la 6eme femme d’Henri VIII, les autres ayant souvent très mal finies en particulier à cause des colères du roi. Elle souhaite réformer la religion de son pays – abandonner la Bible en latin au profit de l’anglais afin que cette dernière soit comprise par le peuple – ce qui n’est pas bien vu (du tout) par l’Église et par le Henri VIII, lieutenant de Dieu sur Terre. Cette volonté la place dans une situation extrêmement complexe et dangereuse.
L’approche de Le Jeu de la Reine se révèle intéressante dans son choix de donner de la voix à une femme (ainsi qu’à celles qui gravitent autour d’elle). Dans un genre où presque tout a déjà été vu et revu, il était essentiel d’apporter quelque chose de moderne. Cette connexion avec le présent est distillée tout le long du film, Henri VIII nous faisant penser par moment à des figures malsaines de notre époque (Trump, Bolsonaro, Weinstein…). Comment en tant que femme apporter son savoir dans un monde où règne une terreur barbare des hommes ?
Reconstitution historique splendide
Autant commencer par parler de ce qui est le plus gros point fort de Le Jeu de la Reine : la reconstitution historique. On retrouve aussi bien dans les costumes, très détaillés, que les décors intimes et vivants, un sens remarquable de la reproduction des éléments qui constituent une époque. On se permet d’ailleurs une légère digression en pointant du doigt le charme de ces longues barbes rousses d’antan qui donnent aux hommes un aspect très amusant et sympathique (ce qu’ils ne sont pas). La vie de la cour du château respire l‘authenticité. On y chante, danse, trahit… Bref, on a l’impression d’y être !
Mais pour vraiment donner de la grandeur à la reconstitution, cela nécessitait un travail exceptionnel d’un point de vue visuel. Dans ce registre, Le Jeu de la Reine est d’une beauté singulière. Avec l’aide de sa directrice de la photographie Hélène Louvart (Un Petit frère, Heureux comme Lazzaro), le cinéaste Karim Aïnouz enchaine les compositions visuelles stupéfiantes avec un sens de l’éclairage très remarquable. On a la sensation de se balader dans différents tableaux d’époque tout en ayant un point de vue moderne et réaliste sur le rendu. Rien que pour l’image, Firebrand – Le Jeu de la reine vaut le déplacement pour être admiré dans les salles obscures, car cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu un tel travail pour un film historique. Le long-métrage atteint par ce biais des sommets esthétiques, côtoyant de près des grandes œuvres comme Le Dernier empereur de Bernardo Bertolucci.
Une narration trop sage et classique
Néanmoins, si l’image est superbe, le fil narratif l’est moins. Avec ces similitudes d’un récit « à la Game of Thrones » qui se vit plus comme un thriller qu’un drame, on tombe par moment dans une sensation de déjà-vu trop prononcé. La narration est efficace et le duo d’acteurs formé par Jude Law et Alicia Vikander fonctionne à merveille, mais la forme dramaturgique consensuelle est un peu lassante.
De plus, le film déclare parler d’une histoire qui n’est pas racontée dans la grande Histoire, or on demeure néanmoins dans du terrain très connu. Certes, Henri VIII n’est pas le protagoniste principal, mais cela reste l’histoire d’une reine d’Angleterre. Enfin, la musique elle-aussi possède un style contemporain très classique, issu de ce qu’on pourrait appeler l’ère « Hans Zimmer ». Il manque cet aspect révolutionnaire dans le traitement pour que l’œuvre se démarque réellement autrement que par son image.
De ce fait, Firebrand – Le Jeu de la reine se regarde avec plaisir tout en restant de facture trop sage, surtout par rapport à ce qu’il annonce. Néanmoins, la photographie stupéfiante du film, ainsi que le travail sur les décors, costumes et les qualités indéniables du casting font du long-métrage de Karim Aïnouz une réussite.
Firebrand – Le Jeu de la reine sortira au cinéma le 27 mars 2024. Retrouvez tous nos articles du Festival de Cannes 2023 ici.
Avis
Firebrand - Le Jeu de la reine se regarde avec plaisir tout en restant de facture trop sage, surtout par rapport à ce qu’il annonce. Néanmoins, la photographie stupéfiante du film, ainsi que le travail sur les décors, costumes et les qualités indéniables du casting font du long-métrage de Karim Aïnouz une réussite.