Avec Eiffel, Martin Bourboulon (Papa ou Maman) souhaite faire revenir le biopic historique sur le devant du cinéma populaire français. Un sujet de choix que de s’attaquer à la conception du plus grand monument hexagonal, tout en contant une romance passionnée fictionnelle. Pari réussi ?
Pour comprendre la genèse et le postulat d’Eiffel, il faut remonter plus de 20 ans en arrière : en 1997, la romancière Caroline Bongrand propose ce pitch de film romanesque où la fameuse Tour Eiffel aurait été inventée en forme de A par amour. Cela tombe bien, le fameux ingénieur Gustave Eiffel a réellement eu une romance avec une certaine Adrienne de Bourgès, avant que celle-ci ne prenne brutalement fin à cause de la famille bourgeoise de cette dernière. Refusant un moment de construire la tour, Eiffel changera d’avis sans que personne ne sache pourquoi…
Voilà comment on tient les bases d’une romance impossible en parallèle de la construction d’une des plus grandes merveilles du monde (un peu de chauvinisme n’a jamais fait de mal !). Par la suite, le projet aura longtemps été dans les startings-blocks (Luc Besson à la réal’, avec Gérard Depardieu et Isabelle Adjani) sans pouvoir décoller… Trop cher pour la France, pas assez international pour les américains, il faudra attendre 2018 pour que la production soit réellement lancée pour de bon.
Martin Bouboulon (réalisateur des très sympathiques comédies Papa ou Maman 1 & 2) tombe sous le charme de cette histoire, citant First Man comme référence (dans la volonté de lier l’intimité à la grandeur d’un exploit humain), et n’ayant que Romain Duris en tête pour le rôle. Pour Adrienne, Emma Mackey (Sex Education) lui donne la réplique dans son premier rôle au cinéma et dans sa langue natale. Un budget de 20 millions d’euros est alloué, et la promesse d’un film populaire 100% français qui se donne les moyens est en soit déjà un des vrais points positifs d’Eiffel, néanmoins limité par une faible durée d’1h45 !
Entre drame intime et biopic grandiloquent
Rapidement, le postulat de lier le micro au macro se révèle bien intéressant dans Eiffel, via une structure de double-narration usant de flash-backs pour conter cette histoire. En résulte donc 2 films en 1, intrinsèquement liés. En premier lieu nous avons donc affaire à un biopic à la reconstitution méthodique sur ce qui amène l’élaboration de la Tour lors de l’Exposition universelle de 1889. La bataille que représente l’élaboration de l’édifice décrié par la presse, ses répercussions sur la populace ainsi que les doutes de la noblesse… tout est là et représente la part la plus intéressante du métrage.
En effet, le tout se révèle plutôt passionnant à suivre. Un fait admirable tant l’urbanisme n’est à priori pas un domaine des plus excitants, mais Bourboulon et son équipe se sont posés les bonnes questions afin de transcrire l’évolution et la conception de la tour Eiffel à l’écran. Mention spéciale aux séquences où Gustave Eiffel explique l’ingénierie requise au moyen de maquettes : c’est simple, précis et concis. Dans cet historico-ludisme, le long-métrage jouit par ailleurs d’une belle reconstitution du Paris du XIXe siècle : calèches, costumes, intérieurs et mêmes le pied de la tour entièrement reconstruit… On tient là une production design soignée, agrémentée de quelques plans à FX bien pensés, saupoudré d’une photographie du plus bel effet par Matias Boucard (L’Odyssée).
Fruit de la passion
En second lieu, Eiffel se veut une histoire d’amour passionnelle et déchirante entre Gustave et Adrienne. Tout comme dans Titanic, cet amour se veut impossible de par leur différence de classe. Là encore les flash-backs nous font découvrir cette idylle de jeunesse prendre une tournure plus tragique, avant de revenir 20 ans plus tard. Et c’est là que Eiffel trouve sa principale faiblesse : l’écriture de cette romance se veut plutôt programmatique, et empiète assez sérieusement sur l’autre versant historique du film. Ce qui fera couler de l’encre est bien sûr la différence d’âge entre Romain Duris et Emma Mackey (et cela se ressent assez dans les séquences du passé). Mais passé cette interrogation, force est de constater que le duo fonctionne très bien, avec alchimie, et surtout via le talent de leurs interprètes.
Tantôt fougueux et plus renfermé pour Eiffel, tantôt joviale et plus mature pour Adrienne, les personnages parviennent à exister via une direction d’acteurs maîtrisée. Malgré de gros clichés qui nuisent à une certaine authenticité (les premiers émois du couple ou bien l’absence de communication suite à un certain évènement dénotent avec le reste), le tout arrive à fonctionner à intervalles réguliers. Un seul regard fugace, un plan de caméra sur leur toucher, une scène d’amour charnel… le réalisateur parvient à apporter une vraie délicatesse à l’écran. Le tout culmine sans doute lors d’une séquence de danse en mini-plan-séquence, capturant chaque mouvement avec aisance, portée par la musique classieuse d’Alexandre Desplat (La Forme de l’Eau, Grand Budapest Hotel).
Malgré ce caractère attendu, Eiffel parvient à fonctionner, jouissant d’une fabrication de belle tenue, de comédiens de talent et impliqués, d’une reconstitution d’époque qui fait plaisir, et d’un vrai soin historique. C’est suffisamment rare au sein du paysage cinématographique français et Martin Bourboulon en est donc un bel ambassadeur (avant Les Trois Mousquetaires).
On regrettera une durée d’1h45 n’arrivant pas à développer à 100% l’ensemble de ces segments (notamment l’apport de la classe ouvrière dans la construction de la tour), ainsi qu’une écriture de la romance qui empêche l’uppercut émotionnel requis (on est pas dans In the Mood for Love ou Sur la Route de Madison).
Eiffel reste néanmoins une chouette proposition de cinéma : soignée, romanesque, qui se donne les moyens de son ambition, et offre un autre regard plein de pertinence sur la fameuse Dame de Fer !