Des chèvres en Corrèze est un seul en scène en forme de récit initiatique, entre désespoir et optimisme, sur la vie en société.
À mi-chemin entre le conte philosophique et le récit initiatique, Des chèvres en Corrèze nous plonge dans la vie d’un homme parti vivre dans une grotte en pleine nature pour échapper à la violence, à la solitude. À la violence de la solitude qui, au fond, est peut-être impossible à fuir… Une performance saisissante !
Le récit d’une longue désillusion
Partir élever des chèvres en Corrèze, c’est un peu l’autre version de tout quitter pour aller faire de la poterie en Bretagne ! Le désir, le besoin même, soudain ou non, d’échapper à un mode de vie dans lequel on se sent dissoner, de fuir une société dans laquelle on ne se reconnaît pas, de trouver un sens qui s’est soudain mis à nous échapper. Ou que l’on n’a encore jamais trouvé peut-être.
Dans ce long monologue, Dimitri Lepage décrypte la monde, la société, son fonctionnement, ses codes, ses normes ; mais aussi nos tentatives parfois désespérées d’en faire partie, nos quêtes vaines, nos désirs contradictoires, nos fuites en avant, nos paradoxes… « On dirait que tout le monde s’éloigne de tout le monde, à grande vitesse, et de manière presque définitive. » déplore-t-il.
La solitude quoi qu’il arrive ?
C’est le constat amer et assez défaitiste d’un petit garçon qui s’émerveillait au contact du monde jusqu’à ce qu’il découvre l’envers du décor. « Un monde horrible et secret », caché sous la surface visible, et qui avait jusqu’alors échappé à son regard. C’est la complainte d’un homme reclus dans sa grotte pour fuir la solitude. Celle, immense, qui s’était mise à le ronger tandis qu’il s’efforçait d’être un autre, précisément pour lui échapper. Il nous raconte le cheminement qui l’a mené à ce choix radical de l’isolement.
Il n’est pas moins seul dans sa grotte pourtant. Mais la solitude subie, celle qui s’insinue lorsqu’on na pas trop les codes de la société alors même que le monde nous entoure, s’est transformée en solitude choisie, celle qui s’isole, se tient à distance, s’éloigne aussi physiquement des gens, des idées, des opinions. Pas dit que le résultat ne soit pas le même au final.
Des chèvres en Corrèze : un conte philosophique qui nous happe
La mise en scène est simple mais efficace. C’est dans sa grotte que nous arrivons et dans laquelle nous nous installons pour un moment. Loin du civisme, de la politesse, de la sagesse populaire, de la convivialité, de toutes ces conventions humaines qui codifient, obligent, imposent la direction à suivre. Au lieu de ça, des troncs d’arbres en guise de commode, un fauteuil envahi par la végétation, une atmosphère entre chien et loup, une barbe, des cheveux longs… Et puis la solitude. Toujours elle.
Si le propos nous a parfois semblé manquer d’un tout petit peu de nuances, que les lueurs d’espoir sont minces et que l’on peut tout à fait ne pas pleinement adhérer à la vision du monde de son personnage, la performance de Dimitri Lepage n’en reste pas moins époustouflante. En effet, le comédien s’empare de cette prose dense, rythmée et fort bien écrite avec un indéniable talent de conteur, une sincérité et une énergie qui nous tiennent en haleine et nous captivent.
Si bien que l’on sort de ce spectacle un peu secoué, comme renversé par une avalanche. Une sympathique avalanche s’entend ! En effet, beaucoup d’analyses sont intéressantes, et l’on aurait envie de prendre le temps de revenir à la finesse et à la poésie du texte, à sa drôlerie aussi parfois. Voilà qui tombe bien, celui-ci est disponible à la sortie ! Une fois n’est pas coutume, nous repartirons avec, impatients également de découvrir les dix minutes supplémentaires qui ont dû être coupées pour correspondre au format avignonnais. Nous profiterons aussi des moments de convivialité proposés avant et après le spectacle. Parce que c’est pas si mal au fond, les autres… !
Des chèvres en Corrèze, de et avec Dimitri Lepage, mise en scène Jérôme Jacob-Paquay, se joue du 29 juin au 21 juillet 2024 (relâche les lundis) au Théâtre Épiscène.
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Avis
Dimitri Lepage s'empare de cette puissante logorrhée avec une présence et une authenticité admirables, sans aucun trébuchement. Pas même une hésitation. Et que l'on partage ou non cette vision plutôt pessimiste du monde, l'intelligence et l'acuité du propos invitent à la réflexion, à la remise en question.