Plus de 5 ans après l’OVNI Sorry to Bother You, Boots Riley revient avec I’m A Virgo (Signe Astrologique : Vierge en VF). Un projet audacieux et complètement original sur le papier : une mini-série en 7 épisodes, contant l’histoire d’un géant de 4m qui découvre la vie quotidienne à Oakland. Une petite pépite emplie de bizarreries et de surréalisme, pour un résultat des plus singuliers !
Boots Riley a déboulé dans le paysage cinématographique en 2018 avec Sorry to Bother You, une satire sociale aussi loufoque que réjouissante. Et dès ce premier essai des plus réussis, on trouvait toutes les obsessions d’un auteur ayant déjà un passif dans l’activisme et les mouvements politiques, ainsi que pour un amour du hip-hop et du mix de genres. I’m A Virgo arrive donc 5 ans plus tard, et Boots Riley continue avec brio sur les mêmes bases.
Once Upon a Time in Oakland
I’m A Virgo se déroule à Oakland, et nous présente Cootie (Jharrel Jerome), un jeune afro-américain de 19 ans. Passionné de comics, ce dernier vit cependant reclus à domicile avec ses parents, et a pour seuls amis les divers programmes TVs qui lui servent d’ouverture sur le monde. Rien de profondément choquant me direz-vous, à un détail près : Cootie a la particularité de faire 4m ! Pourquoi ? Comment ? I’m A Virgo ne donnera aucune réponse, et ce n’est clairement pas le plus important.

Déjouant les consignes parentales, Cootie va ainsi découvrir le monde extérieur via son regard vierge, et être confronté à toutes ces dérives. Une coming-of-age story donc, où les amitiés et la romance côtoient un parcours émancipatoire. Mais rapidement, la particularité de Cootie sera l’objet de tous les débats, en particulier en matière de sécurité nationale. C’est ainsi que ce dernier sera vue par une menace par Jay Witthle (Walton Goggins), un magnat industriel qui arbore également l’identité d’un super-héros.
I’m a Virgo : vierge de toute fadeur
Rien qu’avec ce pitch de base, I’m A Virgo affiche un melting-pot créatif certain, et pourtant Boots Riley porte le tout vers des cimes de folie complètement uniques. Quelque part entre le cinéma de Spike Lee (exploration de fractures sociales par un abord pop et expressif), du Charles Dickens (le cheminement extraordinaire d’un individu qui l’est tout autant), la série Atlanta (l’afro-surréalisme) et même du Alan Moore !
Car à l’instar de Watchmen, I’m A Virgo déconstruit le concept de super-héros (ou de super-vilain) dans un exercice plus méta, pour traiter des problématiques sociales contemporaines. On y retrouve même une œuvre fictionnelle intra-diégétique ayant son importance au sein du récit (ici un cartoon à la Family Guy). Au final, tout comme pour Sorry to Bother You, Boots Riley n’hésite pas à pousser les potards à fond et grossir les traits pour amener ses diverses problématiques, mais sans jamais les bazarder.

En résulte une œuvre régulièrement folle, parfois osée et même tarée (la scène de sexe de l’épisode 4 est sans nul doute une des idées de mise en scène les plus fucked up qu’on ait vu sur un écran depuis un paquet de temps). Et à chaque épisode, I’m A Virgo arrive à se renouveler : lorsque l’on pense que la recherche d’absolu risque de nous perdre, le récit amène une nouvelle couche narrative ou une nouvelle idée pour peindre sa toile de pamphlet anti-capitaliste complètement ludique.
America, Fuck No !
Car si le fond est éminemment politique (comme toute œuvre si on gratte en profondeur, mais ceci est un autre débat..), Boots Riley ne prend pas nécessairement le spectateur par la main pour le manipuler gaiement. I’m A Virgo préfère confronter ses personnages à cette Amérique viciée (mais pas si éloignée de la réalité), jusque dans son final plus ou moins ouvert qui pourra être sujet à interprétation.
Et tout y passe : dérives de la société de consommation, cloisonnement communautaire, influence des médias, culte de l’image, influence de la pop-culture, peur de l’inconnu, emprise des lobbys, mouvements contestataires, … I’m A Virgo aborde le tout via son approche acidulée, en n’hésitant pas à aller également vers le sens mythologique quand il s’agit de traiter ses divers personnages, mais aussi un amour immodéré du zarbi !

D’une des meilleures représentations de la super-vitesse dans une œuvre de fiction (excellente Olivia Washington, la sœur de John David et la fille de Denzel !) jusque dans un climax imagé à la Terry Gilliam, en passant par un groupe réduits à l’état de lilliputiens, les 7 épisodes ne sont pas avares en petites trouvailles surréalistes. La Palme reviendra sans doute au perso du « Héros » campé par un Walton Goggins toujours aussi hilarant (dont le QG qui se mobilise autour de lui résume le personnage), malgré un personnage de justicier tout à fait contenu en apparence.
Dans ce combat idéologique entre la recherche d’équité, l’apparente nécessité d’un monde fracturé ou bien l’appel à la révolution, Boots Riley amène une mise en scène des plus maîtrisées pour incarner cet Oakland à la fois réaliste et fantaisiste. Si le ton d’I’m A Virgo permet aussi des saillies burlesques de mise en scène, il faut avant tout saluer la manière d’intégrer un Cootie de 4m dans chaque décor. Jeux de perspectives, maquettes, décors de géants construits en dur..un bel artisanat est mis à l’œuvre !
Casting de géant
Et bien sûr, I’m A Virgo ne serait pas une très belle réussite sans son casting. Outre des seconds rôles incarnés (Kara Young, Brett Gray, Mike Epps, Carmen Ejogo..), à la fois pourvoyeurs de rires mais traités au sérieux lorsque le drame sait faire irruption dans le récit, il faut bien sûr saluer un impeccable Jharrel Jerome dans le rôle principal. Déjà révélation de talent dans Moonlight ou Mr Mercedes, avant d’être l’acteur le plus jeune de l’Histoire à obtenir le Golden Globe du meilleur acteur dans la superbe When They See Us, ce dernier campe un héros complexe aux multiples émotions.

De géant à l’âme d’enfant initialement, jusque dans sa manière d’assumer un rôle imposé par la société en fin de parcours, Cootie se construit d’épisode en épisode, véritable vecteur de chaque axe du récit. C’est donc avec un certain manque que l’on termine I’m A Virgo : non pas que le tout soit bâclé loin de là, mais devant la foultitude d’idées, difficile de ne pas vouloir une dizaine d’épisodes au total qui auraient permis d’aller plus loin dans le propos (ou dans le destin des personnages)
D’abord récit initiatique et fable post-moderne, I’m A Virgo se mue pour ses 3 derniers segments en véritable relecture des mythes modernes (là encore le comic book y est évoqué à l’image de ce que faisait Shyamalan dans Incassable) pour conclure sa satire. Un exercice de style tout à fait réjouissant, relativement unique et foldingue dans le paysage créatif contemporain. C’est pour toutes ces raisons qu’I’m A Virgo s’impose aisément comme la série de l’été, et un des petits musts de 2023.
I’m a Virgo est disponible sur Prime Video depuis le 23 juin 2023
avis
I'm a Virgo s'impose comme une satire pop, bizarre, touchante, drôle, créative et réjouissante à presque tous les niveaux. Boots Riley confirme pour cette seconde œuvre relativement unique : une très bonne pioche que l'on aurait aimé encore plus longue : la marque de la réussite !