Le 25 avril 2001, personne ne se doutait du phénomène qui allait survenir dans les salles de cinéma. Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain débarqua et tel un bulldozer, devint un véritable succès critique et public. En effet, le grand film rêvé de Jean-Pierre Jeunet engendra plus de 8.6 Millions d’entrées dans l’Hexagone et plus de 173 Millions de dollars dans le monde. Aujourd’hui considéré comme un film culte bien de chez nous, et à l’issue de son arrivée sur Netflix, il est temps de revenir sur cette œuvre unique et poétique.
Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Personnage immortalisé par la prestation d’une Audrey Tautou méconnue (le rôle de sa vie), difficile de passer à côté du 4e long-métrage de Jean-Pierre Jeunet. Réalisateur ayant accédé à la reconnaissance de ses pairs via le burlesque Delicatessen en 1991, l’étrange La Cité des Enfants Perdus et le succès d‘Alien Resurrection, Jeunet avait en effet un projet personnel depuis des années qui lui tenait à cœur. Un projet décrit comme un poème « à la Prévert », dans un Paris magnifié évoquant les BD de Jacques Tardi. La résultante est un pari fou sur le papier (impossible à faire aujourd’hui selon lui), agrémenté d’idées emmagasinées toute sa vie.
Le fabuleux dans le quotidien
Le film nous présente donc d’entrée de jeu Amélie Poulain, jeune rêveuse de 23 ans s’étant construit un univers intérieur. Ayant grandie isolée des autres enfants, élevée par un père renfermé, Amélie est désormais serveuse au Café des 2 Moulins. Après avoir abandonné toute relation sentimentale, elle mène une vie des plus simples. Faire craquer la crème brûlée avec sa cuillère, faire des ricochets sur le canal Saint-Martin, regarder le visage des spectateurs au cinéma, deviner combien de personnes font l’amour à un instant T… Chaque instant est une occasion de laisser libre cours à son imagination ! Le jour où elle découvre une mystérieuse boîte cachée derrière un mur, Amélie se donne pour mission de retrouver l’ancien propriétaire. Si elle le retrouve, elle s’engagera à faire le bien et apporter le bonheur en aidant les autres…
De ce pitch de base, Jeunet livre donc une œuvre malicieuse, charmante, poétique, drôle, tendre et profondément humaniste. Amélie deviendra très vite une sorte de Mère Theresa fantasque, désireuse de régler les problèmes de son entourage, quitte à sacrifier le sien. L’occasion de présenter une galerie de personnages hauts en couleur. Que ce soient Georgette l’hypocondriaque se découvrant des sentiments pour Joseph (Dominique Pinon, excellent acteur fétiche de Jeunet), ce dernier ex jaloux de Gina, la serveuse qui aime se faire craquer les os…chaque personnage jouit d’une identité plus ou moins loufoque héritée de la BD ou du théâtre. On pourra également noter Lucien (Jamel Debbouze dans un de ses premiers rôles), victime des accès de colère constants de son patron Mr Collignon, la concierge dépressive ou le voisin peintre atteint de la maladie de sos de verre. De scénettes en scènette, on apprend à les connaître au même titre qu’Amélie, et ainsi tisser la réjouissante toile que représente le film.
Tout comme le personnage éponyme, le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain trouve son aura et sa beauté dans son attention singulière aux détails (un héritier du court-métrage Foutaises de Jeunet en somme). Que ce soient via Amélie directement et ses plans ingénieux pour remplir son rôle d’ange-gardien, ou bien la narration en voix-off par André Dussolier, le film fait l’éloge d’un bonheur se situant dans les petits riens. En résulte une bombe fantaisiste qui donne du baume au cœur, emplie de trouvailles anecdotiques dressant le portrait d’un quotidien magnifié. Très vite la mission d’Amélie rentrera en conflit avec sa propre lutte pour s’interdire l’épanouissant amoureux, le jour où elle rencontrera Ninot Quincampoix (Mathieu Kassovitz), travaillant dans un sex-shop la nuit, et récupérant les restes des photos d’identités sous les Photomatons afin d’en constituer des albums. Deux inconnus rêveurs autant l’un que l’autre, n’osant s’approcher directement.
Le fabuleux visuel d’Amélie Poulain
Si le film reste encore marquant aujourd’hui, c’est également grâce à sa fabrication unique et exemplaire. Celle d’un cinéma français ambitieux porteur de mise en scène inventive. Pour créer ce quartier de Montmartre fantasmé , comme issu d’une utopie des années 60, Jeunet s’aide de sa fidèle chef décoratrice Aline Bonetto (Pan, Wonder Woman). Ayant bossé avec Jeunet depuis son Delicatessen, son travail sur Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est à l’image de la filmographie du cinéaste. Un souci constant de la production design, des accessoires, des lieux et du cadre pour créer un univers visuel propre débordant de créativité, mais toujours rattaché à ce qu’on connait vu le cadre « contemporain » du film.
Désireux de créer un Paris de carte postale mais incarné, cette volonté se traduit également par une formidable photographie de Bruno Delbonnel (Harry Potter et le Prince de Sang-Mêlé, Inside Llewyn Davis, Les Heures Sombres). Un véritable festin de couleur, empruntant le jaune caractéristique d’un Darius Khondji, mais jouant avant tout avec le vert ou le rouge, pour un résultat de toute beauté. Une patte visuelle aujourd’hui indissociable du film, qui fut une vraie révolution à l’époque pour son travail d’étalonnage en post-production. Un procédé également expérimenté par Roger Deakins sur O’Brother des frères Coen.
Autre composante incontournable : la musique de Yann Tiersen, couronnée aux Césars. Il suffit d’entendre les premières notes pleines de volupté de « Comptine d’un autre été, l’après-midi » ou « La Valse d’Amélie » pour être transporté. Difficile d’être insensible à ce mélange plein d’énergie de sons d’accordéon ou de cordes, apportant une gaieté et une fougue à l’ensemble de l’édifice construit pour Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Un ptit côté chauvin peut-être dans l’ADN de sa BO, mais avant tout une véritable identité incarnée et galvanisante pour les esgourdes ! Autant d’éléments qui font du film une œuvre pleine de personnalité, réhaussant aussi un récit qui serait peut-être plus oubliable sans l’amour porté à tous les niveaux de sa fabrication et de son storytelling.
Bien sûr, un petit mot sur le casting, qui est impeccable, Audrey Tautou en tête. Pleine de vie, l’actrice donne corps à ce personnage un peu schizotypique, se concoctant un état mental et un imaginaire débridé, trouvant la beauté dans les infimes détails de nos vies. La galerie secondaire de personnages est évidemment la cerise sur la gâteau. La romance croissante d’Amélie avec le personnage de Kassovitz pourrait néanmoins paraître assez déconnectée et improbable (après tout ils ne se connaissent pas vraiment) mais qu’importe, le fond reste avant tout dénué de tout cynisme. En effet, après sa sortie, le film a aussi des avis plus divergents, critiquant l’identité factice d’un faux Paris et la finalité de l’intrigue. Des avis recevables si on décide de ne pas s’immerger dans ce qu’est réellement Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, à savoir un vrai poème loufoque, mais avant tout pur, romantique et humaniste.
Bonheur pour tous les rêveurs
Car il est là le thème du film de Jeunet selon le réalisateur lui-même : « On dit que les temps sont durs pour les rêveurs, mais pour nous… ». Une invitation au merveilleux pas si éloignée de la philosophie d’un Tim Burton finalement, où l’évasion et l’émerveillement peuvent être trouvés à portée de main, si tant est qu’on veuille s’attarder sur les détails. Jamais cucul ou faux, Jeunet est arrivé en 2001 avec son plus grand film tout simplement. Un véritable OVNI riche rassemblant les gens de tout horizon.
Couronné de 4 Césars, nominé à 5 Oscars, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est un film de passionnés et de rêveurs oui, mais un film qui fait du bien. Si Jeunet n’a plus jamais eu le même succès après malgré Un Long Dimanche de Fiançailles de très bonne facture 3 ans plus tard, Amélie Poulain est un nom célèbre dans le paysage cinématographique aujourd’hui, et une belle pierre précieuse du cinéma francophone de ce début du XXIe siècle. Il suffit simplement d’y repenser pour arborer un sourire qui ne trompe pas.