Tout va bien est un seul en scène surprenant et poétique qui nous plonge dans une société dystopique où aller bien n’est pas permis.
Victor fête ses 30 ans. Désormais adulte, il se retrouve soudain plongé dans une société dystopique (quoique…) dans laquelle il est nécessaire d’avoir un problème pour exister. Mais alors, comment faire quand tout va bien ?
Accusé de tenter de bouleverser l’ordre de cette société désenchantée, Victor a donc plutôt intérêt à rapidement trouver de quoi râler ou se lamenter s’il ne veut pas que ça finisse mal pour lui ! La mission ne s’annonce pas simple et va prendre des airs de voyage initiatique au cours duquel nous allons en prendre plein les yeux… et le cœur.
Du spectacle !
C’est dans une surprenante atmosphère à la Tim Burton que nous prenons place. Le décor, imposant et inventif, captive littéralement notre attention. Sur le son hypnotique d’un tic-tac qui s’affole en même temps que les jeux de lumière, un étrange personnage apparaît. Silencieux, masqué, tout de noir vêtu, un corbeau noir empaillé sur l’épaule, il semble sorti tout droit de notre imaginaire. Une entrée en scène des plus originales et intrigantes, que nous comprendrons plus tard.
Car le tableau suivant pose une toute autre ambiance. Avec ses poulpes en peluche cousus sur les épaules de sa veste et sa langue de belle-mère vissée aux lèvres, Victor fête ses 30 ans, plus heureux que jamais ! Le soucis c’est que, dans cette société, il n’y a de place ni pour la légèreté, ni pour la joie, et encore moins pour l’optimisme. On y préfère les gens comme madame Frankenstein, lassée de subir les mauvaises blagues au téléphone ; Danièle, qui désespère de s’ennuyer autant depuis qu’elle est seule que durant ses douze années de mariage ; ou encore Gontran, qui se désole de ne pas intéresser les personnes intelligentes…
« On veut de la tragédie, du caillou dans la chaussure. »
Autant de personnages rendus très drôles, qui nous livrent leurs plaintes sur fond de chansons bien déprimantes comme il faut ! Pendant ce temps-là, Victor, surnommé l’imbécile heureux, est vraiment désolé, mais il a beau chercher, fouiller sa mémoire, ses souvenirs, son enfance et même son téléphone, il ne trouve pas de raison de se plaindre…
Un comédien éblouissant
Nous avions découvert Victor Duez aux côtés de Véronique Boutonnet dans Une vie, superbe adaptation de l’œuvre de Maupassant, et accessoirement l’un de nos derniers coups de cœur ! Et nous avions déjà été charmés par l’authenticité et les nuances de son interprétation. Oui mais là… sa sensibilité, son talent et son intelligence de jeu nous ont littéralement subjugués. Ses talents devrions nous même plutôt dire !
En effet, le comédien excelle aussi bien dans l’incarnation de personnages loufoques, que lorsqu’il nous livre quelques envolées lyriques, tendres ou engagées, qui nous laissent suspendus à chacun de ses mots. Et quand, soudain, il se met à rapper, nous sommes sans voix… Quel flow ! On aurait envie de revenir rien que pour apprécier à nouveau ce moment, et quelques autres d’ailleurs qui sont aussi de vraies pépites.
Comme cette scène génialissime où il nous partage, sur paper board, une interminable conversation Whats app de famille sur fond de musique d’ascenseur ! Ou cette autre, parfaitement chorégraphiée, dans laquelle sa gestuelle se synchronise avec une précision bluffante à la bande sonore tandis qu’il mime à un rythme soutenu la manipulation successive de différentes armes… Épatant, vraiment.
Une surprise aussi belle qu’inattendue
Nous pensions assister à un seul en scène d’humour plutôt léger à vrai dire, sans trop d’attentes. Nous ne nous attendions pas à tant de beauté, de poésie, de finesse et d’inventivité, dans le texte comme dans le jeu, le propos ou encore la mise en scène. Et nous n’avions pas non plus prévu cette profondeur d’ailleurs. Car l’auteur-comédien sensible et attachant ouvre avec joie et tendresse une réflexion sur notre incapacité chronique au bonheur, et sur notre manière de vivre ensemble.
D’ailleurs, à l’écriture comme à la mise en scène, Victor Duez et Nicolas Depye forment un duo redoutablement efficace. Il y a du rythme, de l’intensité, des nuances, le tout soutenu par la très belle création lumière de Richard Arselin et par l’envoûtante création sonore d’Elias Akkouche qui nous plongent par moments dans un univers où le mystérieux, l’inquiétant, le gothique et le poétique s’entrelacent merveilleusement.
Tout n’est pas parfaitement structuré et quelques rares passages nous ont paru un peu superflus, comme celui du trajet en voiture en famille. Mais, ici, comment vous dire… l’imperfection devient belle et ne peut rien contre la magie qui opère. En effet, ce spectacle nous a troublés, émus, transportés. Sans doute parce qu’il déborde de ce que l’on préfère : de vie, de poésie, de surprises, et d’un imaginaire au service de l’espoir et de ce que la vie peut avoir de simple, de beau, de simplement beau, et surtout de vrai.
Tout va bien, écrit et mis en scène par Victor Duez et Nicolas Depye, avec Victor Duez, se joue jusqu’au 27 juin 2023, les lundis et mardis à 21h, au théâtre de l’Essaïon.
[UPDATE 2023] À partir du 30 août au Théâtre de l’Essaïon.
Avis
Avec humour, cynisme, poésie, et beaucoup d'originalité, cette pièce aux airs de conte philosophique porte des réflexions profondes sur notre condition d'humain et sur la place que notre société accorde à la souffrance. Une création ensorcelante.