Une vie est une adaptation inventive, romanesque et merveilleusement interprétée du roman de Maupassant paru en 1883.
C’est par Une vie que nous ouvrons les festivités ! Et nous n’aurions pas pu rêver meilleure rentrée… D’ailleurs, la première question que nous nous sommes posée en quittant ce spectacle c’est : pourquoi ne sommes-nous pas allés le voir plus tôt ?
Parfois les coups de cœur font du bruit, ils font jaillir les émotions, éclaboussent un peu. On rit, on pleure, on est porté par une énergie folle, on a le souffle coupé, les yeux peuplés d’étoiles… Et parfois, ils sont plus discrets, plus intimes. Ils enveloppent délicatement, étreignent avec douceur, sans serrer trop fort. Coups de cœur en dentelle. Une vie est de ceux-là.
« Sais-tu pourquoi certaines personnes sont malheureuses si souvent ? Elles apprennent dans leur jeunesse à trop croire au bonheur. Et au premier choc, au premier petit accident de la vie, le cœur se brise. Le cœur se fracasse.«
Un récit presque chimérique
Une femme lit, étendue sur le tapis épais au style oriental qui recouvre le sol. Derrière elle, les persiennes ouvertes livrent au vent un rideau léger qui ondule. Les lumières chaudes et la musique contribuent à créer une ambiance intimiste. Ainsi, dès les tout premiers instants et tandis que le public s’installe encore, l’atmosphère de fin d’après-midi, chaleureuse et contemplative, nous enveloppe.
Puis, son fils la rejoint et, ensemble, ils vont se souvenir d’une œuvre, d’une existence, celle de Jeanne, dans laquelle ils vont librement voyager. Cette jeune aristocrate ne rêvant que de beauté, d’amour, de voyages quittera le couvent à 17 ans pour épouser le vicomte Julien de Lamare. Ce qui précipitera sa vie dans une successions d’épreuves qui piétineront peu à peu et sans ménagement ses rêves de jeunesse.
Une approche intelligente et sensible du classique de Maupassant
Véronique Boutonnet & Victor Duez nous content la vie de Jeanne, sont tour à tour Jeanne et les différents personnages de son existence. À eux deux, de leurs mots, de leurs mouvements, de leurs respirations, ils font exister les souvenirs, les moments, les images d’une vie qui caresse… puis qui fait mal. L’amour naissant, les rêves de voyages, le mariage, la tristesse qui s’invite plus tôt que prévu quand « le tour du bonheur est accompli », les désillusions…
Une vie qu’ils jouent et racontent, qu’ils chantent aussi, mettent en notes, et dont ils font éclore l’âme avec une belle complicité. Les deux comédiens s’échangent régulièrement les partitions et se glissent ainsi tour à tour dans la peau de Jeanne, de Julien, du Baron, de Rosalie… sans que jamais on ne s’y perde. Leur jeu, si pleinement authentique et nuancé est un vrai bonheur. Véronique Boutonnet, par son interprétation habitée et sans fard nous ensorcèle.
Une œuvre au lyrisme enivrant
Nous ne nous souvenions pas vraiment de ce que racontait le roman de Maupassant à vrai dire. Mais ce dont nous nous souvenions très bien en revanche, c’est ce que nous avions ressenti à sa lecture ; le sentiment de langueur et de plénitude dans lequel il nous avait plongés. Et c’est précisément ce sentiment que nous avons retrouvé, comme un écho inattendu à un passé déjà lointain.
Car quelque chose de lumineux demeure tout au long de l’histoire. Et ce malgré les drames qui s’y déroulent dans une époque bien loin des notions de consentement et peu préoccupée par la condition féminine de manière générale.
En effet, leur récit est emprunt d’une infinie délicatesse à laquelle on doit en grande partie le charme singulier qui se dégage de la pièce. Ils font exister les détails les plus poétiques du texte de Maupassant. Les frémissements des peaux, l’écoulement de l’eau glacée d’une rivière à travers la montagne, l’odeur du printemps, la force du vent, les pulsations du temps qui s’écoule, l’éclosion d’un bonheur déjà prêt à se faner…
« On pleure parfois les illusions avec plus de tristesse que les morts. »
Pour le reste, il faut saluer la mise en scène si bien pensée et créative de Richard Arselin dont le rôle est loin d’être anecdotique. En effet, elle créé une dynamique qui rend l’ensemble particulièrement fluide, tels les battements de cœur de cette existence peinte, sculptée. Cette adaptation originale dans laquelle tout fonctionne brillamment nous a donné envie de nous replonger dans la lecture de l’œuvre de Maupassant. Un moment de pure beauté.
Une vie, d’après Maupassant, par Véronique Boutonnet, mise en scène Richard Arselin, avec Véronique Boutonnet & Victor Duez, se joue jusqu’au 01er novembre 2022, les lundis et mardis à 19h, au Théâtre de l’Essaïon.
Puis du 02 février au 25 mars 2023 les jeudis, vendredis et samedis à 19h15.
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet, à 18h55, au Théâtre Le Grand Pavois, au Festival OFF d’Avignon.
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
C'est un délicieux moment que l'on passe en compagnie de ces deux formidables comédiens qui nous font complètement oublier l'existence. Enfin, la nôtre ! Car on se retrouve plongés dans cette vie, de la Normandie à la Corse, où le bonheur a à peine eu le temps de s'esquisser, mais où la lumière demeure.