La maladie de la famille M nous emmène entre comédie et drame au sein d’une famille ordinaire enlisée dans les non-dits.
Quelque chose ne tourne pas rond dans la famille M, mais difficile de dire quoi ou qui. Car, le dialogue, on ne peut pas dire que ce soit leur fort. Peut-être même que rien ne va, mais que tout le monde s’en accomode.
D’ailleurs, l’histoire de cette famille modeste vivant dans un petit village en bordure de route nationale, ce n’est pas eux qui la raconte mais leur médecin. Ce dernier nous ouvre l’accès à ses souvenirs, et c’est alors une porte qui s’entrebâille sur une existence dont on se sent rapidement familier. Une pièce du dramaturge italien Fausto Paravidino qui a su nous surprendre et nous toucher.
Dans la famille M on demande…
…le père, Luigi, dont la santé n’est plus tout à fait ce qu’elle était et qu’il faut changer plusieurs fois par jour. Ensuite il y a les filles, Marta et Maria, la première beaucoup plus responsable que la seconde. Tellement responsable qu’elle endosse le rôle de la mère dévouée depuis la mort de cette dernière. Et enfin il y a Gianni, le petit dernier… mais toujours premier pour donner son avis et mettre les pieds dans le plat.
Entre eux, la communication a du mal à se faire. Tout n’est que non-dits, sous-entendus et évitement. Pas simple de cohabiter ensemble, surtout quand on ne s’est pas choisis… Et puis, autour de cette famille il y a aussi les deux amis, Fulvio et Fabrizio, tous deux épris de Maria, petite-amie de Fulvio. Au sein de ce trio amoureux non plus on ne sait pas comment dire, comment aimer, comment quitter. Alors on patauge dans l’incompréhension, on s’enlise dans le silence, on se prend les pieds dans les maladresses et les quiproquos.
C’est grave, docteur ?
Et puis il y a aussi le médecin, celui dont le rôle premier n’est pas tant de guérir que d’écouter, nous dit-il, et qui a longtemps accompagné cette famille dont l’histoire se déroule sous nos yeux et au milieu de laquelle il joue le personnage fantôme, le spectateur actif. D’un commentaire, d’un geste, d’une attention discrète, il intervient parfois, subtilise le briquet qui allait allumer une cigarette, tend une tasse de café qui sera saisie au vol…
Gaspard Baumhauer nous charme dans ce rôle tout en subtilité. Le regard qu’il pose sur ces êtres les enveloppe d’une tendresse qui fait transparaître toute leur humanité et renforce un sentiment de proximité avec cette famille ordinaire dont nous suivons presque affectueusement les errances, les questionnements, les élans et les lâchetés.
Un réalisme saisissant
Cette sensation de proximité est renforcée par la très belle mise en scène de Marie Benati qui emmène le jeu au-delà du plateau et du décor minimaliste d’un espace de vie dénué de chaleur humaine. Ainsi, les personnages entrent d’un côté de la salle, sortent de l’autre, s’assoient dans un escalier… C’est vivant, dynamique et plein d’authenticité. Un certain charme s’infiltre aussi en même temps qu’une lumière dorée se faufile de temps à autre à travers les stores vénitiens, créant un espace chaleureux et réconfortant au beau milieu du tumulte.
Hormis la fin et la précipitation dans laquelle elle se déroule, qui nous ont moins convaincus, La maladie de la famille M nous offre ainsi un bien joli tableau, rythmé par des dialogues vifs, et porté par des comédien(ne)s dont l’investissement et la qualité de jeu nous ont séduits. En effet, chacun de ces personnages est soigneusement construit, abouti, et est interprété avec un naturel désarmant.
« Le problème c’est qu’ici, personne ne grandit. On vieillit, c’est tout. »
Tout particulièrement Guillaume Villiers-Moriamé, qui excelle dans le rôle du jeune ado insolent, Gianni, et nous offre quelques moments absolument merveilleux. Nous avons d’ailleurs aimé ce personnage qui, certes, peut parfois agacer par son air de tout savoir mieux que tout le monde, mais qui sait aussi faire preuve d’une lucidité dont aucun des autres membres de cette famille n’est capable, et qui n’hésite pas à les confronter à leurs vulnérabilités.
Ça sonne juste, ça sonne vrai, et c’est très plaisant à regarder. On ne voit pas ces 1h50 passer, et ça c’est le signe d’une jolie réussite.
La maladie de la famille M, de Fausto Paravidino, adaptation Caroline Michel, mise en scène Marie Benati, avec Léna Allibert, Gaspard Baumhauer, Marie Benati (en alternance), Daniel Berlioux (en alternance), François Clavier (en alternance), Alex Dey (en alternance), Yoachim Fournier-Benzaquen (en alternance), Bérénice Olivares (en alternance), Taddéo Ravassard et Guillaume Villiers-Moriamé, se joue jusqu’au 13 juin 2023, les lundis à 21h et les dimanches à 19h au Studio Hébertot.
Avis
Il se dégage une certaine poésie de ce quotidien finalement assez banal qui va à la rencontre de l'humanité avec beaucoup de sobriété et de sincérité. Avec cruauté, humour et tendresse, ces êtres déambulent dans une existence de frustration, détresse et lassitude où tout ne semble pourtant pas perdu...