Pas de vagues transfigure les couloirs d’un collège en décor de thriller suffocant, malheureusement rattrapé par son portrait intime beaucoup plus attendu.
Pas de vagues est le troisième long-métrage de Teddy Lussi-Modeste, et sa première collaboration avec Audrey Diwan au scénario. Fidèle compagnon de route de Rebecca Zlotowski, ayant travaillé ensemble à trois reprises (Jimmy Rivière, Le Prix du succès et Une fille facile), le cinéaste, ayant également amené sa plume sur l’égotique Jeanne du Barry de Maïwenn, adapte ici sa propre histoire, vécue dans un lycée d’Aubervilliers en Seine-Saint-Denis. Parce qu’après le sec Le Principal, le sympathique mais plutôt anecdotique Un métier sérieux, et avant le Amal, un esprit libre de Jawad Rhalib (en salles le 17 avril prochain) la situation plus que précaire de l’école publique semble avoir inspiré nombre de cinéastes, tous désireux de dénoncer un système à bout de souffle.
Et après son travail césarisé sur le beau et étouffant piège qu’était L‘Amour et les forêts, la patte d’Audrey Diwan revient faire des merveilles dans ce qui paraît aisément être le projet le plus abouti de son réalisateur. Parce que Pas de vagues transfigure avec brio les couloirs d’un collège en décor de suffocant thriller, où le moindre mot, le moindre geste et le moindre regard peuvent faire basculer une intrigue prenante, malheureusement rattrapée par les excès moralisateurs d’un personnage principal dont les états d’âmes contaminent un peu trop l’équilibre précis de ce qui aurait pu être une longue et belle séance d’apnée, et n’en demeure pas moins un fort manifeste pour une meilleure protection et considération de nos chers professeurs.
Cours d’apnée
Pas de vagues suit ainsi l’histoire de Julien (François Civil), jeune professeur de lettres accusé à tort de harcèlement par une jeune élève. Le début d’un engrenage qui aura peu à peu raison de sa crédibilité, de sa confiance en lui, et qui contaminera peu à peu toute sa vie, de son rapport aux autres professeurs, en passant par le manque flagrant de considération de ses responsables. Parce que dans Pas de vagues, le début de cet incendie semble taillé dans la dentelle, ne reposant que sur quelques mots, quelques attitudes, suffisant à créer un climat toxique planant peu à peu sur l’entièreté du long-métrage. Du choix du décor de ce collège aux murs bétonnés, en passant par le manque d’écoute et de considération régnant dans la salle des professeurs, tout laisse augurer d’un asphyxiant piège.
Et c’est ce qui prend tout d’abord aux tripes, de la candeur de ce jeune professeur, (idéalement campé par François Civil) confronté aux yeux d’élèves se muant peu à peu en ceux de petits bourreaux, et du regard éteint d’un proviseur jetant peu à peu le personnage dans un précipice sans fin. Il faut ainsi noter l’intelligence du scénario qui étend cette terreur, ce malaise jusque dans l’intimité où ce jugement, cet abandon se manifestent et explosent avec beaucoup de fracas, tout en de petits gestes et petits mots, évoquant par des petites touches la situation fragile aussi émotionnellement que financièrement de héros du quotidien courant après un idéal qui n’est plus.
Cours de morale
Soudain, pourtant, la rancœur et l’envie de justice (évidemment compréhensible) du réalisateur imprègnent peu à peu ce fragile équilibre. Le personnage principal se mue alors d’une représentation large et facilement identifiable d’un jeune homme passionné et peu à peu détruit à celui d’un homme revanchard, assénant les bons mots à qui s’oppose à son cheminement, détruisant de son envie de justice des problèmes qui auraient mérité d’être plus abordés, plus creusés, que finalement rapidement évoqués dans la rage et un certain ressentiment. C’est là que Pas de vagues marque malheureusement ses limites et que le portrait intime prend le pas sur le suffocant (et impeccable) thriller scolaire dépeint, et que la crise existentielle prend un peu trop le pas sur la crise de tout un système.
Heureusement, le film de Teddy Lussi-Modeste retombe sur ses pieds dans un final désarçonnant, où jamais une sonnette d’alarme et un exercice d’évacuation n’auront paru aussi glaçants, tout comme les mouvements de foule d’un groupe d’élèves, devenue une masse informe, un troupeau destructeur, qui à l’image de notre système scolaire actuel, piétine sans s’en soucier sur tout ce qu’il reste de liberté, de passion et d’estime, sur les corps fatigués de nos très précieux et mésestimés professeurs.
Pas de vagues est actuellement en salles.
Avis
Même si son portrait intime, plus attendu, prend parfois injustement le pas sur le thriller scolaire suffocant dressant un glaçant état des lieux sur la situation de nos chers enseignants, Pas de vagues demeure un bel uppercut, aussi fort que nécessaire.