Avec Jeanne du Barry, Maïwenn étouffe la liberté de son personnage dans un drame scolaire en manque total d’audace.
Jeanne du Barry se voit précédé d’un certain goût de scandale dont la Croisette raffolle. Consacré en film d’ouverture de cette 76ème édition du Festival de Cannes (et hors-compétition), le sixième long-métrage de Maïwenn, couronnée du Prix du Jury pour Polisse il y a déjà 11 années, paraît aussi assez évidemment comme son plus ambitieux. Première fresque historique pour l’autrice, qui nous avait laissé avec un certain goût de redite autocentrée avec ADN (mais qui s’était aussi véritablement épanouie dans son alliance avec Roschdy Zem sur Les Miens) dévoile également ici sa première collaboration avec une star internationale en pleine tentative de reconquête après avoir nourri les pages people et égratigné sa prestigieuse réputation. Parce que malgré un casting prestigieux (Pierre Richard, Melvil Poupaud, Benjamin Lavernhe, Pascal Greggory, Noémie Lvovsky et India Hair), seul un nom semble (logiquement) avoir marqué les esprits.
Si l’on ne reviendra évidemment pas sur toutes ces affaires, les prestations de Maïwenn et de Johnny Depp se voient donc d’autant plus scrutés, Jeanne du Barry bénéficiant ainsi de cette drôle de promotion qui en viendrait presque à faire oublier le véritable sujet du métrage (en plus de son formidable casting) : celui de l’histoire vraie de Madame du Barry dite Madame La Comtesse du Barry, roturière à la destinée tragique, ayant peu à peu gravi les échelons jusqu’à devenir la favorite du roi Louis XV. Un personnage dont on imagine assez aisément la résonnance avec sa propre destinée qu’a pu y déceler Maïwenn, jeune femme née en Seine-Saint-Denis et ayant connu les plateaux de cinéma dès l’enfance jusqu’à accéder aux grâces de la critique et du public en devenant réalisatrice. Mais au-délà de son ambition, et de toutes ces polémiques, la cinéaste réussit-elle à signer un film simplement réussi ?
Royal ennui
Jeanne du Barry déçoit ainsi rapidement dans tout ce qu’il entreprend. Si l’on sent parfois un regard personnel sur la figure historique, Maïwenn ne parvient cependant jamais à pleinement s’emparer de la femme libre, émancipatrice et se passant volontiers des convenances qu’au détour d’une mise en scène cruellement fade. Ce manque de fougue se voit ainsi parfaitement traduit par l’incarnation fantômatique, quasi-mutique d’un Johnny Depp au regard perpétuellement absent. La déception est ainsi totale lorsque le scénario, co-écrit avec Nicolas Livecchi et Teddy Lussi-Modeste passe inexplicablement sur des épisodes marquants du récit (La Révolution, la mort de la Reine) où des instants précieux pour nourrir le personnage de Jeanne du Barry (la maltraitance de son associé campé par Melvil Poupaud), pour nous opposer, sans la moindre inventivité, la rigueur des convenances de la Cour du Roi au personnage libre campé par Maïwenn.
Cette opposition simpliste s’étendant sur près de deux heures permet cependant de faire naître quelques brefs beaux instants. Ils sont rares, mais lorsque le talent de Maïwenn semble dépasser cet essai en manque totale de personnalité, son observation de l’intimité de la cour n’est ainsi pas dénuée d’humour, traduits par quelques (rares) regards complices avec Johnny Depp. Les échanges entre la cinéaste et Benjamin Lavernhe, délaissant sa posture de valet étriqué se laissant soudain charmer, demeurent ainsi les plus réussis du métrage. C’est finalement si peu, que dommageable pour le reste du casting, impérial il faut le noter, tous fermement cantonnés à de vulgaires carricatures (pauvres India Hair et Noémie Lvovsky). Il en résulte alors un drame empesé, répétitif, et cruellement sage, à des années-lumière de la personnalité du personnage qu’il s’entend croquer, et surtout de sa réalisatrice.
Polissé
Le cinéma de Maïwenn nous avait ainsi habitués à être secoués. Oscillant entre fiction et vérité coup de poing, le règlement de comptes familial de Pardonnez-moi, aux portraits géniaux du Bal des actrices, aux poignants Polisse et Mon Roi, on pouvait ainsi parfois retrouver cette rage dans son récent ADN, malgré une certaine redite. Dans Jeanne du Barry, tout semble s’être effacé, policé, d’une actrice qui passe ainsi plus de temps à s’amuser en costume qu’à insuffler la même rage dans un personnage qui avait pourtant tout pour lui offrir le meilleur des écrins. À l’image d’un cinéaste à la patte volontiers plus impersonnelle comme Martin Bourboulon dans Les Trois Mousquetaires – D’Artagnan, la réalisatrice perd toute son originalité et sa fougue en étant véritablement dépassée par un projet plus ambitieux, qu’elle traduit à la mise en scène comme au scénario par un ronflant académisme.
Noyée sous un climat atone, et accompagnée d’un acteur américain en trop petite forme pour délivrer une quelconque émotion, Maïwenn échoue ainsi à s’emparer d’un personnage qui avaitpourtant tout pour lui ressembler que ce fade drame historique aux relents humoristiques bien trop répétitifs pour susciter une quelconque satisfaction. De la séduction, du trouble, de l’écrasant poids des normes, il ne reste dans ce Jeanne du Barry rien de bien croustillant à se mettre sous la dent, qu’une trop longue ballade à la Cour qui n’a jamais comme objectif d’être une véritable récréation, finalement bel et bien écrasée sous les convenances.
Jeanne du Barry est actuellement en salles.
Avis
Avecc Jeanne du Barry, Maïwenn s'empare d'un personnage qui lui ressemble, mais qui parvient pourtant à totalement lui échapper. Visiblement dépassée par le poids du drame historique, la cinéaste étouffe ainsi toute sa rage créatrice, comme la personnalité libre de sa protagoniste, pour délivrer un film empesé à la mise en scène fade et académique, parfaitement incarnée par un Johnny Depp quasi-mutique au regard absent.