Pourquoi garder les pieds sur terre quand il est possible de s’envoler ? Avec son troisième long-métrage Par-delà les montagnes, Mohamed Ben Attia nous emmène à la découverte d’un soi au-delà du monde, un soi épris de liberté.
Pour parvenir à saisir sa liberté au vol, il faut aller à l’encontre des codes qui régissent la société ; Rafik l’a compris le jour où tout a basculé. En entrant par effraction à son travail, barre de bois à la main, il sait qu’aucun retour en arrière ne sera possible. Alors il traverse l’open space, visage impassible, et s’arrête, avant d’abattre toute sa violence sur le matériel informatique et les bureaux. Aux bruits des coups se mêlent les cris des salariés et cette musique lancinante qui monte crescendo. Puis Rafik s’éloigne et saute par la fenêtre.
Tout part de cette première scène, ce moment de démence que personne ne parvient à comprendre et à expliquer, pas même ses proches. Aux yeux des autres, Rafik est fou et cette folie est le symbole d’un basculement, de sa volonté de ne plus suivre les règles pour voler de ses propres ailes. A sa sortie de prison, après quatre années, son esprit est toujours porté par ce même désir : Rafik doit s’échapper de son quotidien, des barreaux qui l’entourent, de ce cadre (resserré sur son visage à l’aide de gros plans) qui l’étouffe, toujours plus. Enfermé dans ce monde, il le sera jusqu’au moment où il décide d’enlever son fils pour l’emmener par-delà les montagnes, au-delà de la terre.
« Croire à l’impossible »
Avec ce long-métrage, Mohamed Ben Attia offre un moment en suspens. Le rythme lent et contemplatif du film laisse au spectateur le temps de s’imprégner des personnages ; de cet homme dont on ne saisit pas totalement le fonctionnement ; de ce fils, Yassine, qui ne sait comment se comporter avec ce père qu’il n’a pas vu depuis des années. L’esprit de Rafik vagabonde, et avec lui celui de Yassine, d’un berger quasiment mutique, d’une mère de famille ; et on erre avec eux, dans ce monde si terre à terre ou tout à coup, tout semble envisageable. Parce que Rafik est persuadé qu’il peut voler. Croyance que l’on entrevoit d’abord comme le fruit de son imagination, avant de douter nous aussi : peut-être est-il véritablement capable de voler ?
A l’instar, de Thomas Salvador avec Vincent n’a pas d’écailles, Mohamed Ben Attia réunit dans son film fantastique et réel. Où se situe la limite entre les deux ? Existe-t-elle vraiment ? Il insère ainsi un brin de poésie dans un monde où tout est sous contrôle. Ce lyrisme est accentué par des scènes oniriques qui nous amènent à imaginer sans voir. L’incertitude s’empare alors de notre esprit, nourri par un hors-champ et un traitement sonore qui participent pleinement à la construction des séquences, créant un espace « à côté » imaginé.
La violence de la liberté
Tout au long du film perdure un sentiment de malaise et de crainte – accentué par la musique et le cadrage – issu directement du personnage de Rafik. Jusqu’où est-il capable d’aller pour conquérir sa liberté ? En voulant s’affranchir du reste du monde, Rafik se retranche dans un monde violent ; il oscille continuellement entre douceur et brutalité et l’écart entre les deux ne cesse de se réduire. Il entraine avec lui ceux qu’il côtoie. Pourtant, en même temps, il garde en lui cette bienveillance et cette ambivalence fait toute la richesse du personnage, magnifiquement interprété par Majd Mastoura.
Ce trouble s’accentue dans la seconde partie du film lors d’un huis clos qui exacerbe les tensions. Dans cette maison devenue lieu de séquestration, bien et mal se mélangent et on éprouve la montée de l’angoisse, à la manière de Funny Games de Michael Haneke. Les personnages dévoilent petit à petit leur vrai visage et d’acteurs passifs d’un acte violent, ils se métamorphosent pour prendre l’offensive ; comme le commente le réalisateur, « l’intrusion de Rafik bouleverse leurs codes et les pousse dans leurs retranchements, ébranlant toutes leurs certitudes« . Finalement, entre oppresseurs et opprimés, la frontière se floute et on ne sait plus quoi penser.
Avec Par-delà les montagnes, Mohamed Ben Attia propose un film qui trouve un équilibre subtil entre douceur et violence, rêve et réalité. Pour pouvoir voler, il faut briser des ailes, au risque de perdre les siennes.
Par-delà les montagnes est à découvrir au cinéma dès le 10 avril.
Avis
Le troisième long-métrage de Mohamed Ben Attia, Par-delà les montagnes, nous amène à suivre un homme qui souhaite s'échapper des carcans imposés par la société. Un film onirique emprunt de lyrisme où le fantastique côtoie le réel avec subtilité. Ici, il n'est pas question de voir mais d'imaginer, imaginer jusqu'où un homme est capable d'aller pour assouvir sa soif de liberté.