Civil War est le nouveau film d’Alex Garland, scénariste émérite de 28 Jours Plus Tard et Sunshine, mais également réalisateur de Ex Machina, Annihilation et Men. Un road-trip journalistique convoquant à la fois la dystopie post-apo et un ancrage socio-politique contemporain, puisque le film nous invite au cœur de la Seconde Guerre Civile américaine !
Cela fait déjà plus de 20 ans qu’Alex Garland a fait irruption dans le monde du cinéma. On lui doit bien sûr ses quelques réalisations depuis le très bon Ex Machina en 2015 (suivi d’Annihilation et Men, ou bien de son meilleur travail sur la mini-série Devs), mais c’est aussi oublier que le bougre nous a abreuvé d’une fructueuse collaboration avec Danny Boyle.
Dès l’adaptation de son roman La Plage, jusqu’aux superbes 28 Jours Plus Tard et Sunshine, Alex Garland s’est spécialisé dans des œuvres de genre ayant toujours un réel ancrage avec des problématiques contemporaines, tout en étant à hauteur d’homme. Civil War ne déroge pas à cette règle, s’affirmant sans nul doute comme son travail le plus ambitieux en terme d’ampleur.
Make America fucked up again !
Film le plus cher du studio A24 (Moonlight, Uncut Gems, Everything Everwhere All at Once..), Civil War nous place dans un futur proche où les tensions socio-politiques US ont éclaté. Ce qui reste du gouvernement américain doit désormais faire face à de nouvelles alliances, à l’instar d’un bloc Californie-Texas revendiquant le pouvoir de manière violente.
Et pour couvrir les temps forts de cette Seconde Guerre de Sécession américaine, une équipe de journalistes va se rendre à Washington en partant de New York. Le but ? Couvrir la chute du Président et ses derniers mots ,alors que la Côte Est devient un grand no man’s land. Bien entendu, le voyage ne sera pas de tout repos !
Des prémices plutôt excitantes pour un concept puisant à la fois dans un pan du cinéma d’exploitation (L’Aube Rouge, The Second Civil War ou même le récent Bushwick), mais également dans l’actualité politique houleuse qui secoue les États-Unis depuis une bonne dizaine d’années. Un métrage d’actualité qui n’oublie pas nécessairement son intemporalité, tandis que Garland n’explicitera jamais l’origine du déchirement initial.
Guerre de Sécession sans politique
Un contexte politique globalement nébuleux, qui se révèle donc autant une force qu’une faiblesse. Une force, car Civil War n’a que faire de prendre parti et préfère avant tout montrer les conséquences d’un manque de dialogue se muant en violente altercation. Une faiblesse, car le film manquera finalement de réel propos sur les États-Unis (un comble étant donné le sujet), sans réel travail de cohérence d’univers (impossible de croire à une alliance Californienne-Texane).
Garland passe ainsi rapidement sur le sujet, préférant une introduction efficace de Nick Offerman en président sur la sellette, associée à un plan furtif d’une nouvelle carte des USA fracturée en 4 blocs. Pas le temps d’assimiler ce nouvel abord géopolitique, le récit crée plutôt un univers mental tout en mettant le cœur du conflit en arrière-plan (voire dans le hors-champ). Un côté frustrant donc, tandis que le contexte de Civil War sert avant tout d’évocation pour remixer les codes du post-apo.
Grand amateur du genre, Garland réinvestit des motifs connus à l’aune de son univers américain fracturé : maisons bombardées, carcasses de véhicules, camps de réfugiés, rencontres inopportunes, questionnements existentiels.. Pourtant, Civil War parvient efficacement à se réapproprier une feuille de route archi classique en introduisant une tension de fin du monde quasi permanente (la filiation avec 28 Jours Plus Tard est parfois évidente) sans jamais réellement tomber dans les clichés du film de guerre.
Conflit picaresque
Le récit reste cependant bien timoré à ce sujet, tandis que les forces d’opposition seront finalement réduites à une (excellente) altercation avec Jesse Plemons (décidément génial en sociopathe à la gâchette facile), ou bien une parenthèse d’immobilisation où deux snipers sont piégés dans un duel s’éternisant. Et c’est dans ces moments fugaces ponctuant un récit somme toute relativement simple que Civil War touche à une vérité universelle sur la mise en garde d’une guerre, peu importe les raisons initiales du conflit.
La mise en scène oscillant entre la contemplation et le naturalisme documentaire épouse ainsi l’œil des reporters que le spectateur suit, sans une once de manichéisme. Là encore, la volonté de rapidement brouiller les pistes sur les motivations et la nature même des factions que l’on suit se ressent, jusque dans un climax de prise de la Maison Blanche.
Un dernier segment qui met un peu plus à l’honneur le versant belliqueux du conflit de Civil War, sans toutefois embrasser le chaos que le film mérite (on reste finalement sur du budget modeste de 50 millions de dollars). Garland a d’ailleurs la fâcheuse manie d’étirer sa conclusion au profit de scène de guerilla sans réel enjeu dramaturgique (n’est pas Les Fils de l’Homme qui veut), si ce n’est l’attente de la confrontation finale avec le Colonel Kur…le Président !
Guerre à hauteur d’homme
On évitera d’ailleurs pas une ou deux grossièreté dans la manière de se débarrasser d’un personnage. Pour autant, le casting a fière allure, que ce soient les trop rares Wagner Moura et Stephen McKinley Henderson, ou bien sûr le casting féminin. Le véritable cœur du film tient en effet dans une certaine passation de témoin entre la vétéran jouée par Kirsten Dunst (sorte de simili-Lee Miller ayant photographié les pires horreurs et sur le point de rupture) et la rookie interprétée par Cailee Spaeny (une bleue qui va rapidement acquérir en maturité au cours de l’aventure).
Car à l’instar du point de vue global de Civil War, c’est via les personnages que ce conflit est traité, avec une réflexion tout à fait universelle concernant le drame capturé par un objectif. Où ce dernier devient une fenêtre sur la propre déliquescence d’une espèce humaine, elle-même se fourvoyant dans un cycle sans fin d’auto-destruction dont les images demeurent les tristes témoignages. Dommage que le contexte socio-politique premier (celui qui nous est vendu est dans lequel les personnages évoluent) ne soit finalement pas exploité, comme si Garland n’avait strictement rien à dire sur l’Amérique. Dommage !
Civil War sortira au cinéma le 17 avril 2024
avis
Même si son manque d'ampleur, de chaos et de contexte géo-politique amenuisent la portée de Civil War, ce nouveau Alex Garland se révèle bien plus passionnant lorsqu'il traite des affres d'une guerre intestine par le prisme objectif de la prise de vue impartiale via ses protagonistes. Oscillant entre post-apo et récit de guerre parfois picaresque, Civil War s'avère un efficace avertissement à l'encontre des escalades de violence de notre époque, tout autant qu'un solide film de genre. Pour ce qui est du traitement de son sujet plus ample cependant, on repassera !