Pour Les Banshees d’Inisherin, Martin McDonagh reforme son duo gagnant d’acteurs de Bons baisers de Bruges pour filmer l’histoire d’une rupture renouant avec son acclamé Three Bilboards.
Les Banshees d’Inisherin est le quatrième long-métrage de Martin McDonagh, réalisateur irlandais en pleine mue artistique. Parce qu’après les deux comédies noires et (déjà) désenchantées suivant des gangsters au bout du rouleau qu’étaient Bons baisers de Bruges et Sept psychopathes (sûrement son pire long-métrage), le metteur en scène a pris une autre voie avec le récompensé Three Bilboards. À l’échelle d’une petite ville américaine, Martin McDonagh mettait ainsi en scène la rupture de tout un pays, en suivant un personnage issu d’une classe ouvrière abandonnée. Un cheminement, ici mué en retour aux origines pour le cinéaste qui avec Les Banshees d’Inisherin revient filmer son Irlande natale, et ausculter une scission similaire.
Bons baisers d’Inisherin
Les Banshees d’Inisherin a ainsi tous les atours du petit film d’auteur modeste. Resserré sur un décor, la petite île d’Inisherin, perdue au large de l’Irlande de l’ouest, et une poignée de personnages, le quatrième long-métrage de Martin McDonagh est aussi, et sûrement son plus ambitieux de par toutes les thématiques qu’il s’entend traiter. Partant du postulat, faussement simpliste, de la fin d’une amitié entre Pádraic (Colin Farrell), un petit paysan vivant avec sa sœur (sublime Kerry Condon) et Colm Doherty (Brendan Gleeson), un musicien vieillissant s’enfermant dans ses compostions, Les Banshees d’Inisherin relate aussi la scission entre deux Irlandes, alors sous le feu d’une guerre civile.
Le scénario est ainsi un modèle de précision. On y trouve tout ce qui faisait de Three Bilboards un grand film politique filmé à une échelle modeste et intimiste ici monté d’un cran. Les numéros d’acteurs sont bouleversants et la photographie naturaliste de Ben Davis transfigure avec majesté ce petit îlot paradisiaque en étouffant purgatoire. Des explosions entendues au loin qui retentissent, et des mots qui ne se disent plus d’un pays aimé jusqu’à la déraison qui ne sera irrévocablement plus jamais le même, et surtout l’irruption d’une violence tue qui vient ici gangréner ce qui fut jadis un petit paradis.
Paradis perdu
La grande force des Banshees d’Inisherin réside dans la force faussement tranquille avec laquelle Martin McDonagh déploie son récit. Le long-métrage se propose comme le morceau d’un passé révolu qui refuse de mourir, brillamment incarné par son personnage principal, permettant au passage à Colin Farrell de renouer avec ses plus grandes prestations. Les Banshees d’Inisherin est ainsi l’histoire de la fin de son insouciance, violemment confrontée à ce qu’il se refusait à voir et à entendre, se débattant stérilement vers une sentence malheureusement irrévocable.
Un deuil heureusement non dénué d’humour, mais aussi d’un amour débordant pour ses personnages, dans ce qui paraît comme le film le plus personnel et le plus délicat de son auteur. Autant de raisons d’aller d’aller découvrir cette fable désenchantée mais pétrie de tendresse, très justement sélectionné aux prochains Golden Globe, et qui permettra, et on l’espère, de consacrer des numéros d’acteurs tout bonnement bouleversants. Et d’admirer la sensibilité d’un cinéaste qui filme ici, comme James Gray cette année avec Armageddon Time, un morceau d’enfance très éloigné de la nostalgie facile, pour délivrer une œuvre très contemporaine d’un passé aux thématiques faussement révolues.
Les Banshees d’Inisherin sera en salles le 28 décembre 2022.
Avis
Martin McDonagh poursuit son Three Bilboards dans une veine encore plus modeste et intimiste. Parce que le cinéaste retourne filmer son Irlande natale, Les Banshees d'Inisherin s'en retrouve pétri d'amour et de délicatesse dans ce qui paraît être comme son film le plus intime et son scénario le plus riche, ambitieux et précis. Une fable tendre et désenchantée où les numéros d'acteurs fabuleux viennent habiter ce passé faussement révolu, aux thèmes très contemporains.