Dune était sans conteste un des films les plus attendus de l’année, et cette nouvelle adaptation du roman culte de Frank Herbert est enfin là ! Ce space opera réalisé par Denis Villeneuve (Sicario, Arrival, Blade Runner 2049) est voulu comme la première partie d’un diptyque épique. Dôté d’un casting de premier choix, Dune se définit ni plus ni moins comme l’œuvre de science-fiction la plus ambitieuse de la dernière décennie.
Dune. Un simple titre de roman, mais pourtant chargé d’histoire et d’un héritage encore plus grand : œuvre culte de SF (ayant par la suite donnée plusieurs autres bouquins dans le même univers) sortie en 1965, Dune a longtemps été au centre de divers projets d’adaptation. Le plus connu étant celui de Jodorowsky, hélas tombé à l’eau devant son caractère débridé, mais dont le travail en amont a permis d’accoucher quelques années plus tard d’œuvres comme Star Wars, Alien ou bien L’Incal ! Un film malade (mais néanmoins pourvu de qualités artistiques) par David Lynch a bien vu le jour en 1984, et mis à part la case mini-série cheap à l’orée de l’an 2000, il aura fallu près de 40 ans avant de retrouver Arrakis.
Cette planète de sable (ayant inspirée Tatooine) est en effet le théâtre principal des évènements du bouquin (et donc du film), se déroulant en l’an 10192. Surnommée « Dune » et parcourue par de gigantesques vers des sables, elle est convoitée pour l’épice, à savoir la substance la plus précieuse de la galaxie. Puissant hallucinogène censé élever l’esprit et source d’énergie majeure permettant le voyage interstellaire, cette richesse sera évidemment au centre de conflits entre diverses Maisons. Alors que les belligérants Harkonnen occupent Arrakis et soumettent le peuple local (les Fremen), l’Empereur galactique énonce un décret comme quoi la planète sera sous la juridiction de la maison Atréides (pacifistes et de plus en plus populaires). Un lègue inestimable…qui cache quelque chose d’autre ?
C’est ainsi que sur le monde océanique de Caladan, nous découvrons Paul Atréides, jeune héritier appelé à gouverner. Alors que le départ pour Arrakis est proche, Paul a régulièrement des rêves prémonitoires, ainsi que des visions d’une mystérieuse jeune femme se trouvant sur Dune. Qui est-elle ? Qui est ce mystérieux ordre religieux doté de facultés psychiques hors du commun ? Amené à un destin prophétique encore plus grand que ce qu’il imaginait, Paul sera au centre d’une histoire mêlant monomythe, conflit politique, enjeu écologique et passage à l’âge adulte !
Dans les grandes largeurs, on retrouve énormément d’influences initiées par la Princesse de Mars d’Edgar Rice Burroughs, avec la thématique du voyage du héros traitée admirablement dans Star Wars ou bien Avatar (Lucas et Cameron ont bien évidemment lu l’œuvre d’Herbert). Mais à l’instar de Game of Thrones, Dune arrivait déjà en 1965 a s’attarder avant tout sur les luttes de pouvoir et le destin de chacun des personnages plutôt que sur une dimension ludique et pulp de la science-fiction. Désireux de retrouver les sentiments évoqués lors de sa première lecture adolescent, Villeneuve adapte donc Dune avec un profond respect, tout en conservant les différentes composantes du récit !
Tragédie futuristic-antique
Contrairement à une majorité de divertissements blockbusteresques, Dune Part One (car tel est son véritable titre) impressionne par la densité de son récit ! En 2h35 sans un seul bout gras, le script d’Eric Roth (Forrest Gump, Benjamin Button) et Jon Spaihts (Prometheus, Passengers) arrive à admirablement condenser les diverses composantes du roman (sans sacrifier chaque moment important), en un flux narratif fluide, où chaque séquence sert à la fois à présenter le contexte, l’univers et les personnages tout en les faisant progresser au sein du récit. Néanmoins, et c’est une limite à géométrie variable : ce Dune 1e Partie est tributaire de la future Partie 2, à savoir qu’en tant qu’adaptation, et malgré la durée plus que confortable (aucun moment-clé ne manque), quelques coupes ont été réalisées en scindant l’histoire au milieu.
Si l’ensemble est présent, difficile de ne pas vouloir une version avec 20-30 minutes en plus pour développer certains personnages secondaires (le Dr Yueh et sa relation avec les Atréides) ou plus centraux (l’ensemble des antagonistes). En effet, les Harkonnen restent un peu en retrait, l’occasion de lâcher du lest pour le prochain film, et se centrer avant tout sur les Atréides, le poids de l’héritage échouant sur les épaules de Paul, ainsi qu’une présentation admirable de l’univers. Évidemment, l’ampleur narrative globale et l’accomplissement de chacune de ses facettes ne sera évaluée que plus tard, mais pour l’heure, on tient là un travail d’adaptation de qualité. Néophytes comme aficionados de l’univers ne seront absolument pas perdus, grâce à la limpidité avec laquelle le film énonce tous les enjeux de cette grande histoire universelle lorgnant également vers la tragédie grecque.
Outre son écriture, c’est avant tout d’un point de vue visuel que Dune impressionne. Véritable cathédrale aux proportions épiques, on a pas eu un tel film depuis Avatar et Mad Max Fury Road (sans toutefois égaler leur opulence). En conjuguant vrais décors, imposants sets construits et CGI (excellentes au demeurant), on retrouve un artisanat de grand film où l’impossible devient palpable et tangible. Il faut saluer le travail de Patrice Vermette (déjà présent pour Arrival), via une direction artistique prônant une certaine épure mais qui ne parait jamais désuète ou sans vie (malgré un ou 2 couloirs plus vides). Gigantesques vaisseaux aux formes oblongues, ornithoptères d’allure fonctionnels, véhicules extracteurs, intérieurs avec gravures, survol d’une cité labyrinthique… on tient là une production design non-flashy qui n’est jamais aux abonnés absents, et qui a été pensée dans son fonctionnement tout simplement.
Une méticulosité qui se répercute également sur la conception des costumes par Jacqueline West (The Revenant), allant tantôt vers le cérémonial classieux, le fonctionnel utilitaire (les combinaisons distille pour survivre dans le désert) ou bien la pure SF (les diverses armures avec bouclier ou bien la Guilde spatiale). Enfin, le Shai-Hulud (ver géant des sables) avec ses allures préhistoriques a beau être extrêmement peu présent (promis, la suite du récit les met clairement à l’honneur), leur gigantisme et leur aspect préhistorique arrive à convaincre immédiatement, et ce dès leur formidable séquence d’introduction (un des gros moments de bravoure du film, et une superbe vitrine pour le format IMAX).
Lawrence d’Arrakis
Villeneuve, grand fan de Lawrence d’Arabie, est connu pour filmer en utilisant une seule caméra, et la recherche du beau plan. Délaissant un peu plus la lenteur atmosphérique, le réalisateur trouve ici un rythme parfait dans l’enchainement des plans : épaulé de Joe Walker (12 Years a Slave, Les Veuves) au montage, chaque passage se répond avec aisance, mêlant parfois avec une vraie résonance visions, temps réel et parallèles entre les personnages. Outre une mise en scène atmosphérique sachant prendre son temps, tantôt au plus près des protagonistes, tantôt donnant un vrai souffle à l’étendue des dunes de sable, la photographie de Dune est superbe ! Greig Fraser (Lion, Rogue One, The Mandalorian) nous livre son meilleur travail, des contrées venteuses de Caladan (Norvège) aux golden hours d’Arrakis (Jordanie), chaque photogramme transpire de vie et de particules. On regrettera néanmoins un ou 2 passages plus sombres en terme de luminosité !
Et que dire de ce Dune, sans parler d’une de ses plus impressionnantes réussites : sa bande-originale ! Hans Zimmer nous livre ni plus ni moins que son meilleur travail depuis Interstellar, proposant une richesse auditive entre le sound design atmosphérique et la musique ethnique ! Grand fan également du bouquin d’Herbert, le compositeur s’est trituré les méninges pour imaginer ce que pourraient donner des sons d’autres mondes futuristes. En résulte diverses trouvailles formidablement utilisées : sonorités gutturales, percussions tribales, chants arabiques, utilisation de cornemuses et de basse, rythmes lancinants… Nous sommes à la frontière de la grande œuvre spatiale, du péplum d’antan et de l’expérimentation pour un plaisir immédiat et vecteur d’émotion. Monumental donc !
Enfin, il faut évidemment aborder le casting du film, tout simplement parfait. Villeneuve a toujours su s’entourer d’acteurs de premier plan, et désireux de transcrire le ton solennel de Dune, le choix et la direction de son casting est le dernier ingrédient d’un pari hautement réussi. Timothée Chalamet (Call Me by Your Name, Le Roi) arrive en un regard à incarner un Paul Atréides renfermé sur lui-même mais pourtant non-moins éloquent. Rebecca Ferguson (Mission Impossible Fallout, Doctor Sleep) est sans doute celle qui impressionne le plus, dans son rôle de mère tiraillée entre l’amour pour son fils et ses obligations religieuses. Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis, Ex Machina) apporte en un clin d’œil toute la prestance requise pour le Duc Leto, entouré d’un Josh Brolin (Avengers Infinity War, Sicario 2) taciturne et d’un Jason Momoa (Aquaman, See) immédiatement sympathique et badass (une des meilleures scènes du film lui revient).
Du côté Harkonnen, Bautista (Spectre, Les Gardiens de la Galaxie) n’a malheureusement pas assez de temps de présence pour se positionner, mais les rares apparitions de Stellan Skarsgård (Millenium, Chernobyl) en Baron Vladimir font mouche : imposant, tyrannique, ce croisement entre le Colonel Kurtz et un cyborg de 150 kg s’impose directement comme un adversaire de taille (sans toutefois inspirer le dégout comme dans le bouquin). Dommage de ne pas avoir plus développer ces opposants (en attendant la suite ?), mais cette mise à l’écart renforce d’un côté l’aura menaçante et l’anticipation de leur présence.
Concernant les encore plus rares Zendaya (Euphoria) ou Javier Bardem (Skyfall), on se consolera également en se disant que leur rôle n’était initialement pas programmé pour ce film. On pourra néanmoins noter l’excellente caractérisation de Liet Kynes (Sharon Duncan-Brewster) et Jamis (Babs Olusanmokin), ayant chacun leur moment pour briller, ainsi que la courte (mais intense) apparition de Charlotte Rampling (Benedetta) en Révérante matriarche des Bene Gesserit (ordre de femmes aux étranges pouvoirs psychiques).
L’excellence qui frôle les étoiles
Malgré une multitude de personnages (pas toujours tous exploités à leur paroxysme) et une durée de 2h30 ne permettant pas d’offrir une narration parfaite et complète de la première partie de Dune, Villeneuve livre une œuvre de science-fiction comme on en a pas vu depuis très longtemps ! En effet, on tient là un film ambitieux et à l’opposé des carcans habituels du blockbuster Hollywoodien. Sérieux sans être pompeux, atmosphérique sans brasser de l’air, impressionnant sans être dans l’excès, cette adaptation de Dune nous happe et nous invite lentement à découvrir chaque sous-couche de l’univers originel imaginé par Herbert.
Sans s’imposer comme une réinvention totale du genre, Denis Villeneuve signe avec Dune un de ses meilleurs travaux. Une véritable bouffée d’air frais dans le paysage cinématographique, à la fois impressionnante, poétique, passionnante et épique. Soit une adaptation hautement fidèle d’une des plus grandes œuvres originelles du space opera, dotée d’une fabrication exemplaire et d’un casting de talent. Et malgré les illustres ténors du genre, Dune Première Partie ne ressemble pour ainsi dire à aucun autre, malgré sa fausse-fin en suspension. Un beau moment de SF tout simplement, autant qu’un un des meilleurs blockbusters récents : un immanquable à expérimenter sur le plus grand écran possible !
Dune est sorti en salle le 15 septembre 2021
avis
Avec Dune Première Partie, Villeneuve parvient à se réapproprier une oeuvre fondatrice de la SF, afin de proposer un space opera aux antipodes des carcans du genre. Un blockbuster plus contemplatif et méditatif que prévu, introduisant avec brio les divers pions de l'univers de Frank Herbert. Dopé par une facture visuelle et technique de premier plan, il ne reste plus qu'à attendre la Deuxième Partie !