Mon visage d’insomnie est un huis-clos qui nous plonge avec brio dans un thriller psychologique sombre et angoissant.
Mon visage d’insomnie nous emmène dans un petit village de bord de mer. Une vingtaine de jeunes migrants vit dans un centre d’accueils pour mineurs isolés. L’un d’eux, Harouna, est resté alors seul avec Élise tandis qu’un nouvel éducateur d’une cinquantaine d’année arrive. Mais de nombreuses questions vont rapidement se poser. Et parmi elles : cet homme est-il bien le remplaçant d’Élise qu’ils attendaient ?
Cette pièce nous a littéralement bluffés. C’est simple, plusieurs jours après la représentation, nous en parlons encore avec la même stupéfaction d’avoir assisté à un moment comme celui-là au théâtre. Sans l’ombre d’une hésitation : notre plus gros coup de cœur de cette édition du Festival OFF après Oublie-moi.
Un thriller au bord de l’épouvante
Nous sommes dans la salle commune d’un centre pour mineurs isolés, dénuée de tout charme et de la moindre trace de chaleur humaine. André arrive pour remplacer Élise, la jeune éducatrice de 25 ans, tandis que tous les jeunes sont partis pour un séjour au ski organisé par l’aide sociale à l’enfance. Tous sauf Harouna, resté attendre le retour de Drissa, son ami qui a disparu.
Le jeune garçon souffre d’un syndrome de stress post-traumatique qui lui déclenche des cauchemars et des accès de paranoïa. Mais franchement, on se demande assez vite lequel de ces trois-là est le plus sain d’esprit… Car tous semblent dissimuler une part de mystère insondable et nous inquiètent tour à tour. Même si cet André se révèle particulièrement étrange…
En effet, le cinquantenaire au regard inquisiteur et aux propos troublants nous met de plus en plus mal à l’aise. On sent, dès son arrivée au centre, que quelque chose ne va pas avec ce personnage qui aime « les gens à l’écart », « les vies qui n’intéressent personne », sans parvenir à savoir quoi. Et la tension qui s’installe entre ces trois êtres de solitude ne fait que croître tandis que, de l’autre côté de la baie vitrée, la mer s’agite, le ciel gronde, la nuit tombe.
Du gris à perte de vue
Mon visage d’insomnie est une pièce brillante à bien des égards. À commencer par cette atmosphère glaciale et ce climat d’angoisse qu’elle parvient à installer très simplement dès les premiers instants. Et qui nous poursuivent jusqu’à la dernière seconde. C’est la première fois que nous ressentons ce type d’émotions – qui plus est avec une telle intensité – au théâtre.
La scénographie de Damien Caille Perret est formidable ! Et la mise en scène de Vincent Garanger inspirée des romans et des films noirs ne laisse absolument rien au hasard. Ce décor intensément gris, du sol aux murs en passant par la mer et l’horizon projetés en fond de scène ; le vent que l’on entend souffler ; l’ambiance sonore de Fred Bühl et les lumières de Stéphane Hulot et Rafi Wared… Tout concourt à nous glacer le sang. Même cette porte battante par laquelle ils vont et viennent devient hypnotique quand son seul mouvement résonne dans le silence.
Un mur mobile laisse parfois apparaître la chambre du jeune garçon quelques instants, le temps de scènes qui viennent un peu plus semer le trouble. Qui ment ? Que se passe-t-il dans ce village où les habitants, emmurés dans leurs peurs, semblent être hostiles à ces jeunes ? Qu’est devenu Drissa ? Et qui est vraiment cet André aux éclats de rire glaçants ?
Des comédiens brillants
Ce climat oppressant, entre réalisme et onirisme, est aussi rendu possible par la qualité et l’intensité de l’interprétation des trois comédiens. Tout est juste dans ce qu’ils nous livrent de leurs personnages : leurs silences, leurs colères, leurs doutes, leurs rêves, leurs inquiétudes, leurs élans de tendresse…
Cloé Lastère est touchante dans l’attachement pudique que son personnage témoigne à Harouna. Djamil Mohamed incarne avec conviction cet adolescent déraciné que ses blessures profondes font naviguer entre un tempérament un peu sauvage et une sensibilité pleine d’innocence. Quant à Didier Lastère, il est tout simplement exceptionnel. Tout en lui est parfaitement inquiétant : sa posture, son regard, sa gestuelle, son attitude changeante, ses silences, ses questions déplacées, ses obsessions, ou encore ses blagues dérangeantes qui nous font parfois rire d’effroi…
S’il fallait résumer, Mon visage d’insomnie est une réussite totale. La pluie, l’orage, les cris des mouettes, ce gris interminable, ces silences remplis de secrets, ces cauchemars pas moins inquiétants que la réalité… On respire à peine jusqu’à un dénouement aussi terrible que poétique. 1h45 que l’on ne voit absolument pas passer et qui nous laisse sans voix.
Inoubliable.
Mon visage d’insomnie, de Samuel Gallet, avec Cloé Lastère, Didier Lastère, Djamil Mohamed, mise en scène Vincent Garanger, se joue du 06 au 29 juillet, à 18h30 au 11.Avignon (relâche le mardi).
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Avis
Derrière son intrigue angoissante, cet excellent texte de Samuel Gallet pose un regard sur notre société et le rapport compliqué qu'elle entretient avec les jeunes migrants. Il nous parle aussi de solitude et des crises personnelles que chacun vit et qui concourent à un malaise général auquel le rêve semble être le seul moyen d'échapper.