Belles de scène est une comédie qui nous emmène dans le théâtre du 17ème siècle au moment de la levée de l’interdiction faite aux femmes de se présenter sur scène.
Belles de scène aborde un sujet passionnant. En effet, si rien ne nous semble plus normal que de voir hommes et femmes se partager les scènes de théâtre, cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, les rôles féminins ont longtemps été interprétés par des hommes, la loi interdisant au « sexe faible » de jouer sur scène. Réalité d’une époque que nous dépeint Jeffrey Hatcher avec un certain sens de la dérision.
Nous sommes à Londres en 1661. Après 18 années de fermeture imposée aux théâtres, Othello fait un triomphe et, dans le rôle de Desdémone, Edward Kyneston est adulé. Comme dans tous les autres rôles féminins qu’il incarne d’ailleurs. Mais une nouvelle loi autorisant les femmes à jouer leurs rôles au théâtre risque bien de changer la donner…
Mesdames, à vous de jouer !
Si Othello est un succès, le roi Charles II aimerait toutefois une fin plus drôle à cette pièce. Dans le même temps, pour la première fois à Londres, une femme monte sur scène. Et si c’était ça, l’idée originale ? Et si le roi assistait à une représentation d’Othello dans laquelle une femme interprétait Desdémone ?
Une femme qui joue une femme ? Où est l’enjeu ? Où est la prouesse ? »
Edward Kynaston, comédien shakespearien
Sauf que, si l’idée est bonne, elle ne plaît pas du tout à la misogynie ni à l’orgueil de Kyneston. Il ne manquerait plus qu’une femme viennent lui voler la vedette en même temps que son plaisir d’incarner l’autre sexe ! Lui qui se plaît à être l’objet de tous les fantasmes – aussi bien ceux des femmes que des hommes – n’entend pas céder à cette lubie. Et l’idée lui plaît encore moins lorsqu’il découvre que cette femme montée sur scène et dont tout le monde parle n’est autre que Maria, sa jeune habilleuse dévouée…
Un rôle principal éblouissant
Si les comédiens sont bons et nous contaminent de leur énergie, nous avons eu un énorme coup de cœur pour Vincent Heden, dont le jeu est brillant. Si brillant à vrai dire qu’il porte littéralement la pièce et même, la dépasse. On est captivé par son charisme, sa grâce ; par sa manière d’habiter ce personnage, de le rendre attachant malgré tout ce qu’il exprime de détestable – à l’égard de la gente féminine notamment.
Aussi juste dans la peau d’un homme que dans celle d’une femme, la vulnérabilité qui se dégage peu à peu de son personnage nous touche. On guette ses apparitions, on savoure la finesse de ses réparties, et on regrette que l’ensemble de la pièce ne soit pas à ce niveau.
Une pépite qui s’ignore
En fait, nous sommes un peu embêtés… Car ce que nous avons ressenti à la sortie du théâtre, c’est avant tout de la frustration. Oui, frustration de voir une pièce avec autant de potentiel se saboter toute seule. En effet, Belles de scène aurait de quoi se dresser au niveau d’un Aime comme Marquise, de par sa distribution, sa mise en scène et son histoire passionnante. Et c’est vraiment vers cela que nous aurions aimé la voir aller, que nous imaginions la voir aller.
« L’exil est une chose affreuse pour qui sait où est sa vraie place. »
Jusqu’à ce qu’il y ait ces répliques un peu grasses surgissant çà-et-là, ces lourdeurs et ce personnage de miss Gouine un poil trop écervelé qui font basculer la pièce dans une autre catégorie, la rendant par la même occasion agréable… mais oubliable. Un peu comme un chef d’œuvre qui se prendrait les pieds dans le tapis rouge. Quel dommage…
Frustration aussi d’entrevoir enfin toute la finesse de jeu d’Emma Gamet – jusqu’alors étouffée par son rôle – dans l’une des dernières scènes qu’elle partage avec Vincent Heden. Ils forment, durant ces quelques minutes, un duo merveilleux que nous aurions aimé pouvoir apprécier ainsi durant toute la pièce. Et c’est précisément à elle, à cette scène – sans aucun doute la plus belle – que ce spectacle tout entier pourrait ressembler.
Un joli moment tout de même
Mais si nous nous attardons longuement sur ce sentiment, c’est bien évidemment parce que cette pièce nous a enthousiasmés. En effet, nous avons adoré la mise en scène de Stéphane Cottin, ses projections de silhouettes animées jouant les spectateurs, son décor et ses costumes d’époque qui nous plongent dans cet autre siècle.
Et puis, si tout semble dévaloriser les femmes, la révélation par lui-même de la véritable raison pour laquelle Kyneston se refuse à interpréter autre chose que des rôles féminins vient renverser le propos avec beaucoup d’intelligence. Il y a quelques moments comme celui-là qui viennent donner de l’envergure à une pièce qui aurait pu être un chef d’œuvre.
Belles de scène, de Jeffrey Hatcher, avec Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin, Emma Gamet, Vincent Heden, Jean-Pierre Malignon, Sophie Tellier, mise en scène Stéphane Cottin, se joue du 07 au 30 juillet, à 21h10 au Théâtre des Gémeaux (relâche le mardi).
[UPDATE 2023] Se joue du 07 au 29 juillet, à 19h, au Théâtre des Gémeaux au Festival OFF d’Avignon.
Retrouvez tous nos articles consacrés au Festival Off d’Avignon ici.
Avis
Cette histoire inspirée de faits historique est passionnante dans son propos et la manière dont elle est abordée. On est porté par l'énergie et l'enthousiasme qui s'en dégagent. Un bel hommage au théâtre, aux femmes, à l'amour.