A l’occasion de la sortie de son premier long-métrage ce mercredi 28 février, nous avons eu la chance de rencontrer la réalisatrice belge Veerle Baetens pour nous parler de son film Débâcle.
Tout d’abord, revenons rapidement sur sa carrière. Veerle Baetens a évolué dans le milieu artistique en étudiant le piano dans une école de musique puis la comédie musicale au conservatoire royal de Bruxelles. Ces pratiques l’on ensuite menée à la télévision et au cinéma où elle interprète de nombreux rôles dans des films et des séries, dont celui d’Élise dans Alabama Monroe de Felix Van Groeningen en 2012. Durant sa carrière, elle reçoit plusieurs prix d’interprétation et devient également chanteuse dans un groupe de musique : Dallas. Pour ce qui est de son passage derrière la caméra, laissons Veerle Baetens nous en parler.
Bonjour Veerle, vous réalisez avec Débâcle votre tout premier long-métrage. Qu’est-ce qui vous a mené sur la voie de la réalisation ?
Cela fait longtemps que je souhaite réaliser un film et j’avais déjà coécrit une série. Quand j’ai eu 18 ans, j’ai dû faire mes études et je ne savais pas vraiment quoi choisir. J’ai visité une école de réalisation à Bruxelles et en même temps, j’ai passé les examens d’entrée pour le conservatoire de Bruxelles en théâtre musical où j’ai été acceptée. J’ai donc suivi cette voie et en me disant que c’était déjà une première étape, que j’allais aller devant la caméra.
Peut-être était-ce aussi nécessaire d’être vue. Un journaliste m’a d’ailleurs dit : “en voyant ton film j’ai eu l’impression qu’en passant derrière la caméra tu as voulu être vue. Tu es vue et maintenant tu veux être écoutée et entendue”. En tant que réalisatrice et autrice, on parle de ce dont on a envie de parler, on est moins au service d’un projet qui vient de quelqu’un d’autre.
Débâcle est une adaptation du best-seller éponyme de Lize Spit que vous avez découvert grâce à un producteur. En le lisant, vous est-il paru évident qu’il fallait que vous l’adaptiez en film ?
Je suis un peu over courageous : je saute sans me demander si le sol est là ou pas. Je réfléchis après avoir dit oui et parlé, mais en même temps j’ai cette persévérance et cette exigence de leur prouver que je suis capable d’aller jusqu’au bout. J’ai donc pris le temps d’écrire, j’en avais besoin et je n’étais pas seule. Il était nécessaire de prendre le temps de parler de ce sujet-là, surtout par respect pour toutes les personnes qui ont vécu un événement pareil ou qui ont soutenu quelqu’un l’ayant vécu.
A posteriori, êtes-vous heureuse d’avoir fait ce saut ?
Oui, ça m’a fait grandir personnellement. J’ai appris beaucoup de choses et pas seulement sur les métiers de réalisatrice et de scénariste, mais aussi sur la vie, et notamment le regard féminin dans le cinéma. Je suis née en 1978, je suis un produit du patriarcat et ma façon de regarder les personnages étaient influencée par ça. Grâce à ce film, j’ai aussi appris énormément sur le trauma, sur les personnes qui ne savent pas s’ouvrir aux autres, qui ne sont pas résilientes. Donc oui, je suis contente de l’avoir vécu.
Le cœur du film, et le message de prévention diffusé à la fin le rappelle bien, est la violence sur mineur. Est-ce que les voix d’actrices françaises qui s’élèvent de plus en plus pour dénoncer ce qu’elles ont subi mineures est quelque chose qui vous touche particulièrement ?
Je me reconnaissais dans la petite Eva puisque moi aussi, produit de, produit du patriarcat, je veux plaire. On est élevé comme ça, c’est la beauté qui prime. Je viens de voir un film, HLM Pussy, dans lequel même les filles disent aux autres filles « toute façon t’es moche ». Et si la fille dit non, les garçons répondent aussi « toute façon t’es trop moche ». Moi aussi j’ai vécu ça, en tant qu’enfant, que jeune femme, je souhaitais avoir de bonnes « notations » et des amies “cool”. Je me reconnaissais également en Eva adulte, je voyais quelqu’un qui a tout perdu, qui est bouffée par ce traumatisme.
En faisant ce film sur toutes ces années – puisque ça nous a pris 7 ans – j’ai appris beaucoup sur ce sujet ce qui fait qu’il me touche encore plus. Ça fait seulement un an, grâce à un livre d’Iris Brey Sous nos yeux, que je me rends compte que le monde est montré sous le prisme du regard masculin et qu’on doit le changer. On ne doit pas l’effacer, non, mais faire 50% / 50%. Il m’arrive à moi aussi dans mon film d’avoir par moment un regard trop masculin.
Vous avez mentionné que l’écriture du scénario a été longue, comment s’est-elle déroulée ? Avez-vous pris des libertés par rapport au livre ? Lize Spit a-t-elle eu un regard sur l’écriture ?
Lize Spit est romancière mais aussi scénariste et il fallait qu’elle se retrouve dans le film. Elle a donc lu le scénario et était présente par moments sur le plateau de tournage. Cependant, elle ne s’est jamais mêlée à la création : elle a donné son avis et j’en ai tenu compte, ou pas du tout. J’avais une liberté complète et c’était d’ailleurs l’un des vœux du producteur.
Le plus compliqué dans l’adaptation fut le personnage d’Eva, qui est très passif dans le livre puisqu’elle fait un monologue éternel, ce qui ne fonctionne pas à l’écran. On a donc du l’activer. Dans le livre par exemple, elle se rend à la fête mais n’entre pas dans la salle et ne monte pas sur la scène. Si tu montres un personnage passif dans un film, ça ne fonctionne pas, c’était trop sans espoir. On a également créé ce symbole, ce lien à la fin entre les deux personnages : Eva adulte se pardonne à elle-même et berce son enfance.
Débâcle est construit autour de flashs back. Vous mettez donc en parallèle deux époques et deux Eva qui semblent totalement différentes mais qui sont pourtant une seule et même personne. Comment avez-vous réussi à relier et construire ce même personnage à deux âges différents ?
C’est principalement grâce au casting. On a d’abord casté et filmé Rosa Marchand, qui joue Eva enfant, avant de caster Charlotte de Bruyne. Elle a ainsi pu s’inspirer du jeu et des images de Rosa Marchand pour jouer.
On a aussi beaucoup travaillé sur le montage car on savait qu’il serait difficile d’aimer et de vouloir suivre Eva adulte. Pourtant, il était normal de commencer avec le présent puisque c’est là où se déroule l’histoire. On a donc pris beaucoup de temps pour lier les deux temporalités et pour qu’on s’intéresse aux deux personnages. Il y a une véritable communication entre les Eva grâce au montage : si l’une regarde à droite, l’autre regardera à gauche, et c’est comme si elles se voyaient et se recherchaient tout au long du film.
On retrouve une forte différence entre les ambiances visuelles des deux périodes. L’une est chaleureuse et colorée, l’autre beaucoup plus sombre et triste. Comment avez-vous construit et imaginé ces univers ?
Au départ, pour moi, le passé renvoyait à Lars von Trier – sa façon de filmer proche des visages – , et le présent à Michael Haneke – c’est loin, c’est stylé. Mais c’était comme filmer deux films, ce qui n’est pas possible. Alors avec mon chef opérateur, on s’est surtout basé sur ces deux saisons : l’été et l’hiver. Les couleurs sont donc différentes mais pas tellement la lumière puisqu’il s’agit de la lumière naturelle.
Il y a aussi le langage des cadres : Eva est enfermée dans le présent, il n’y a déjà plus de place pour bouger, alors que dans le passé, il y a ces autres personnages dans le cadre. Mais plus le film avance, plus le cadre se rétrécit.
Tout au long du film, on sent venir le moment où tout bascule dans la vie d’Eva. Pourtant, il pèse également autour de cet événement une grande part de mystère. Est-ce qu’il a été compliqué pour vous de trouver l’équilibre entre trop en dire ou pas assez ?
Oui ce fut compliqué. Par exemple, on n’a pas filmé le glaçon dans un premier temps mais au moment du montage, on s’est dit qu’il y avait trop de mystère puisque le glaçon est déjà une énigme en lui-même. On s’est aussi demandé combien de fois on devait filmer le “jeu”, combien de fois l’énigme devait-être entendue. Mais il est difficile de savoir, c’est très personnel et il y a des personnes qui comprennent directement. C’est un équilibre qu’on essaie de trouver.
Pour ce film, vous avez travaillé avec la jeune actrice Rosa Marchant, qui a 16 ans au moment du tournage et qui signe son premier grand rôle au cinéma. Était-il évident pour vous qu’elle devait interpréter ce rôle ? A-t-il été difficile de diriger de jeunes acteurs ?
J’appréhendais beaucoup de travailler avec des adolescents, je trouve qu’ils sont souvent désintéressés. Mais j’ai eu des ados qui avaient envie de se montrer, notamment Rosa qui a su plonger dans les émotions et incarner ce personnage.
Pendant le tournage, il fallait que l’ambiance soit saine et safe. Je suis comédienne et je sais que sur un plateau on désire plaire, que le réalisateur soit content. C’est donc un endroit qui peut être sain mais aussi dangereux si tu n’as pas le soin ou la protection du réalisateur. Je ne parle pas d’un point de vue sexuel mais par rapport aux émotions, au vécu. Je sais donc ce que c’est et j’ai passé beaucoup de temps, au préalable et après, à m’occuper d’eux. Il y avait aussi une psychologue présente pendant le tournage et les auditions – qui étaient sous forme de workshops – qui suivait les enfants de près. Elle était notamment là au moment de la scène clé pour préserver les acteurs. Il faut savoir comment les guider.
Est-ce que vous avez fait face à des difficultés pour les diriger ?
Non pas vraiment, je me sentais à ma place et vraiment bien. La seule chose qui peut être difficile avec les adolescents c’est de garder leur attention.
Pensez-vous repartir dans l’aventure d’une nouvelle réalisation ? Ou souhaitez-vous reprendre votre carrière d’actrice ?
Les deux. Je trouve que ce sont deux énergies totalement différentes et j’adore cette introversion de l’écriture et cette extraversion dans le jeu. L’écriture est un moment long tandis que le jeu est dans l’instant, le moment même.