Lise Antunes Simoes est une romancière passionnée du XIXe siècle. C’est pourquoi elle a probablement décidé de créer cette trilogie qui porte le nom « Les filles de joie ». Le quotidien des prostituées était-il réellement différent d’aujourd’hui ? Grâce à la libération de la parole et à l’ascension du féminisme, les langues se délient. La voix des travailleurs du sexe semble davantage écoutée, mais le constat reste dramatique. Entre violences et abus, les femmes sont toujours victimes du patriarcat des hommes.
Malgré des améliorations notables, le système de la prostitution demeure extrêmement problématique en France. C’est pourquoi le sujet mérite d’être mis sur le devant de la scène. Au-delà du caractère divertissant de ce premier tome de la trilogie Les filles de joie, appelé « Le Magnolia », l’auteure retranscrit l’angoisse vécue par toutes ces filles-mères, qui ont été lâchement abandonnées par leurs propres familles.
Survivre à n’importe quel prix, tout en rêvant à sa liberté… C’est ainsi que le quotidien de l’héroïne Victoire se dévoile. Les catastrophes s’enchaînent et les erreurs de jeunesse trahissent une grande insouciance. Non, la lecture du « Magnolia » ne sera pas de tout repos. Le premier tome de la trilogie expose la dure réalité de la vie, face aux attentes naïves d’une fille inexpérimentée. Enceinte à dix-sept ans, celle-ci refuse de se marier avec le père du bébé à naître. Battue par son père et rejetée par les siens, la seule main tendue est celle d’un prêtre Thomas. Victoire qui voulait voyager va être servie, mais sous la contrainte. En effet, pour survivre, il faut pouvoir manger et avoir un toit au-dessus de la tête. Alors, l’héroïne part pour Montréal, dans l’espoir d’un ailleurs plus accueillant.
Ce qui caractérise surtout ce personnage principal, outre son innocence et parfois son profil de « garçon manqué », c’est le sang-froid implacable dont elle fait preuve. Victoire ne pense pas une seconde aux conséquences de ses terribles actions, car elle semble n’avoir peur de rien. Cette attitude aux antipodes de son amie Célia, traditionnelle et jeune fille pieuse qui entre dans les cases fait mouche. Le lecteur aimera ou n’aimera pas, mais l’auteure a créé un protagoniste puissant, qui ne recule devant aucun obstacle. Certes, elle est tombée enceinte, mais elle décide d’abandonner l’enfant et de le laisser sur le porche d’un couvent. La vie à l’usine est difficile. Outre l’épuisement physique et mental, Victoire ne peut se résoudre à lâcher ses rêves de liberté. Une « romantique dans l’âme » qui ne lutte contre le destin. Cette véritable force de la nature trouvera une échappatoire, mais celle-ci prendra la forme d’une maison close.
C’est même le nom du livre : le Magnolia. La gérante est Madame Angèle, un personnage charismatique et autoritaire, qui sait comment organiser la vie de ses prostituées. Tout à fait consciente des lois et soucieuse de faire respecter l’ordre, le lecteur découvre les codes et les secrets de ces filles de joie venues de milieux et horizons différents. Cela s’explique par l’immigration, surtout au dix-neuvième siècle. En se penchant sur l’Histoire de la prostitution à Montréal, il n’est pas surprenant d’apprendre que l’auteure s’est parfaitement renseignée sur ce sujet. Grâce à ses connaissances en termes de véracité historique, le résultat est donc satisfaisant, car crédible. Le réalisme qui se dégage de ce premier tome est appréciable pour ceux qui lisent tout en faisant preuve d’une minutie excessive !
Au fil des pages, le lecteur assiste à la transformation de la jeune fille Victoire en joyau du bordel. Très rapidement, la nouvelle prend ses marques. Peut-être est-ce l’instinct de survie qui parle ? Elle qui n’a pas d’expérience enchaîne les passes et occupe la place de « favorite ». Les gentlemen bourgeois qui cherchent la compagnie de ces femmes ne se privent pas pour la complimenter, ébahis par son physique avantageux et surtout cette jeunesse. En effet, contrairement à ses collègues, Victoire n’a pas connu différentes maisons closes. C’est pourquoi elle peine à comprendre le système de loyer et les interdictions. Elle réussit pourtant à déjouer les ordres, puisqu’elle déteste l’autorité et ne la respecte pas. Plusieurs fois, le lecteur s’indignera d’une telle attitude qui nuit aussi aux autres filles.
Les « Éditeurs Réunis » présentent une expérience de lecture qui ressemble à un voyage dans le temps. Un roman érotique écrit par une femme et qui décrit des profils de femmes différentes, fortes — à une période où elles étaient muselées. Les femmes ont le droit de voter depuis 1940 : une époque qui semble si lointaine, mais qui nous est également proche. Légèrement engagé mais subtil, « Le Magnolia » donne envie aux lecteurs de poursuivre l’aventure. Que deviendra Victoire, après ce final en suspens ?
Le site du livre : https://lesfilles-dejoie.fr/