Après moult reports, Tenet arrive enfin dans les salles obscures ! Le nouveau blockbuster XXL de Christopher Nolan était attendu au tournant. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on tient là un des films de l’année, et une nouvelle œuvre majeure du réalisateur britannique. Attention tout de même, il s’agit d’un film audacieux et complexe !
Tenet. Difficile d’aborder l’intrigue du film sans entrer en territoires spoilerisants (ce sera l’objet d’un autre article). Car comme tout bon film du père Nolan, le scénario est évidemment une part importante. En effet, toute la promotion du film a soigneusement évité de rentrer dans les détails, et pourtant ce sont ces mêmes détails qui parsèment l’intrigue globale. Blockbuster de plus 205 millions de dollars, tourné dans 7 pays, conçu pendant 20 ans….Tenet est de (très) loin le film le plus ambitieux de Christopher Nolan.
Mais du coup ça parle de quoi ? Nous découvrons donc John David Washington (Blackkklansman) incarnant le Protagoniste, un agent de la CIA. Lors des intenses premières minutes du film, un sauvetage d’otages des mains de terroristes nous introduit le dit-protagoniste. Héroïque, professionnel, dévoué à sa tache, il sera rapidement investi d’une mission par la mystérieuse organisation « Tenet ». Le but ? Empêcher une 3e guerre mondiale. Une guerre dont l’issue serait pire qu’un Holocauste nucléaire. Tout un programme donc !
On ne divulguera évidemment pas ici tous les tenants et aboutissants d’une intrigue extrêmement dense, et riche en informations. Pour littéralement sauver le monde, le Protagoniste se verra entraîner dans le monde de l’espionnage international, impliquant des personnages ni tous blancs ni tous noirs. Épaulé d’un informateur du nom de Neil (Robert Pattinson), l’aventure du Protagoniste le mènera rapidement face à un trafiquant d’armes russe et son épouse.
Vous l’aurez compris, Tenet est avant tout un gros film d’espionnage, genre qu’affectionne tout particulièrement Nolan dès son enfance grâce à la saga James Bond ou La Mort aux Trousses. Mais à l’image d’Inception, le film jouit d’un high-concept qui change complètement la donne et les limites du possible. En effet, au cours de l’aventure, les personnages feront connaissance avec le phénomène d’inversion, permettant d’inverser l’entropie d’un objet ou d’une personne. Concrètement la physique et la temporalité suivent un sens contraire. Un verre brisé se reforme, une balle tirée revient vers son chargeur, une voiture va désormais à reculons…
Tel un Matrix, Tenet introduit son concept et son univers pas à pas. Le Protagoniste est à l’image du spectateur, et découvre en même temps que nous l’univers du film pour en apprivoiser les préceptes. Et au fur et à mesure des 2h30, les possibilités vont se démultiplier pour notre plus grand plaisir, toujours au service de son histoire. Très vite la manipulation temporelle jouera un rôle prépondérant (après tout on est dans du Nolan pur jus), renvoyant beaucoup à deux de ses précédents films : Memento et Interstellar.
Ne cherchez pas à le comprendre, ressentez-le
N’y allons pas par 4 chemins : Tenet est sans aucun doute l’œuvre la plus complexe de son auteur depuis Memento. Non pas que l’intrigue globale soit particulièrement retorse (les enjeux sont toujours clairs), mais on tient là un film dense, au rythme effréné nécessitant une vraie implication du spectateur. Loin du didactisme d’un Inception ou Interstellar, Nolan nous prend ici rarement la main. Dans la plus pure tradition du film d’espionnage, les personnages accumulent des infos, préparent des coups, découvrent des indices liés à l’inversion, et cette dernière influe encore plus sur le déroulé de la narration. Mais heureusement, le film n’empile pas les tunnels verbeux, et distille soigneusement toute information de manière consubstantielle à l’avancée du récit et de l’action.
Un plaisir de la découverte, tel un puzzle géant, au sein d’une aventure prenante menée tambour battant. En effet, Tenet s’apparente à une véritable course contre la montre, avec multiples inversions temporelles. Inutile de dire qu’aborder la physique quantique dans un blockbuster relève du génie (ou du pétage de plomb, au choix), mais c’est avant tout du côté d’œuvres complexes comme Dark ou L’Armée des 12 Singes que Tenet trouve sa fibre. Qui est qui ? Qui fait quoi ? Telles sont les questions à toujours avoir en tête, dès lors que le film commencera gentiment à avoir des personnages avançant dans le temps, tandis que d’autres seront à reculons.
L’occasion d’aborder la fabrication du film. En embauchant la monteuse Jennifer Lame (Manchester by the Sea, Marriage Story, Midsommar), Christopher Nolan disait qu’il s’agissait sans doute du film le plus difficile à monter de l’Histoire. Et force est de constater qu’il avait sans doute raison. En gérant des séquences à l’endroit, à l’envers, parfois inter-croisées, mais toujours lisibles, fluides et dynamiques, Tenet représente avant tout un pur exploit cinégénique ! Que ce soit l’impressionnant travail de chorégraphies, d’utilisation de practical effects, la direction artistique ou bien la mise en scène : chaque centime a été plus que correctement utilisé.
De l’Estonie à l’Italie, en passant par le Danemark, l’Inde ou Londres, chaque décor est authentique et gargantuesque. Croyant fort en la puissance du cinéma et des images véhiculées, Nolan se sert du réel comme gage d’ampleur. De la baie d’Amalfi à un impressionnant décor en ruine aux allures lunaires, les lieux du film font voyager et impriment la rétine. Adepte de la grandeur des images apportée par le format IMAX et de la sophistication de la pellicule, Nolan livre un des plus beaux films à gros budgets de mémoire récente. Sa collaboration avec le directeur de la photographie Hoyte van Hoytema (Her, Ad Astra), qui officiait déjà sur Interstellar et Dunkerque, porte une nouvelle fois ses fruits. L’image est précise et riche. Un bonheur pour les yeux.
Un magnum opus de mise en scène
Si la gestion hasardeuse des figurants et l’action titubante de The Dark Knight Rises offrait quelques doutes sur la capacité de Nolan à offrir un film d’action à la mesure de ses ambitions, tout doute est ici balayé à la vitesse du son. Une prise d’otage aux fusillades nerveuses à la Michael Mann, une course poursuite sur autoroute en double sens inversé qui ne rougirait pas face à Une Journée en Enfer, des mano-à-mano brutaux à la puissance viscérale… Christopher Nolan devient ici un grand metteur en scène d’action pure. S’étant fait les crocs sur Dunkerque et son caractère immersif, il applique tout son savoir-faire ici dans des séquences variées. On est littéralement scotché et parfois même abasourdi devant le degré d’efficience des divers morceaux de bravoure.
L’action est toujours à échelle d’homme, tangible, et il suffit de voir une impressionnante séquence de crash d’avion 747 dans un hangar, ou le climax complètement fou pour se dire que oui, Nolan a atteint un degré de maîtrise scénographique exemplaire. Et comme tout film du britannique, Tenet bénéficie d’une BO faisant office de personnage à part entière. Ludwig Göransson (Black Panther, The Mandalorian, Creed) amène tout son savoir-faire et son background multi-référentiel pour créer une musique tonitruante, aux motifs polyrythmiques entraînants. Véhiculant un sentiment d’urgence à la Dunkerque, via tout un mélange riche d’utilisations de cordes, de synthé, de percussions et de basses, la bande-son alliée au sound design insuffle une belle énergie à l’ensemble. Une grande réussite !
A l’image d’un Inception ou d’autres films d’espionnage à la Mission Impossible, Tenet caractérise ses personnages de manière plus ou moins fonctionnelle, en adéquation avec leur rôle au sein de l’intrigue. Finalement, seul le personnage de Katherine (une très bonne Elizabeth Debicki au charme Hitchcockien indéniable) voit des implications personnelles s’immiscer. A l’image de son rôle dans Les Veuves, Debicki incarne une femme vulnérable, en proie à son mari violent, mais néanmoins forte et déterminée pour protéger son fils. C’est elle le cœur émotionnel du film, même si à ce niveau on lorgne bien plus du côté du thriller urbain à la Memento que du pouvoir lacrymal d’Interstellar.
Si le reste du casting secondaire est très bon (Aaron Taylor-Johnson, Dimple Kapadia, Himesh Patel, les apparitions de Clémence Poesy et Michael Caine) c’est du côté du duo principal que ça fait des étincelles. John David Washington prouve encore une fois qu’avec son talent et son charisme naturel, il peut porter un film entier sur ses épaules. Campant un personnage principal suave, posé, autant à l’aise dans des scènes musclées pour faire ses cascades que dans du drama pur, il apporte une présence magnétique de chaque instant à l’écran.
De l’autre nous avons un excellent Robert Pattinson qu’on ne présente plus, au flegme british délectable et à la cool attitude offrant des allures de buddy movie au duo. L’alchimie entre les acteurs fonctionne à merveille (notamment JDW/Debicki et JDW/Pattinson) et apportent finalement un degré d’incarnation plus que suffisant à leurs personnages pour qu’on s’en soucie. La grande classe, d’autant que tout le monde est habillé des meilleurs costumes de leurs carrière sans aucun doute !
Tenet ou la folie des grandeurs de Nolan
Devant une telle générosité, quelques scories font également acte de présence. Nolan n’évite pas 2-3 tirades surlignées, et un certain manque de spatialisation du climax. Kenneth Branagh incarne l’antagoniste principal du film : un méchant pervers narcissique et légèrement mégalomane qui ne fait pas dans la dentelle. Très Bondien dans l’âme avec son accent russe et ses pétages de câble, l’acteur est parfois sur la corde raide. Un vilain plus fin aurait pu faire l’affaire, mais force est de constater que Sator représente un opposant rusé et bien menaçant pour faire passer la pilule. Nous aurions pu également imaginer quelques minutes de plus au film, histoire de diluer un peu plus le rythme du récit et le laisser respirer par moments. En effet, si quelques notes d’humour et même d’émotion sont présentes ici et là, l’emphase se veut plus sobre que sur un The Dark Knight.
Néanmoins, pas de quoi faire la fine bouche devant un tel film-cerveau. Une œuvre audacieuse, impressionnante visuellement (c’est simple, vous verrez des choses que vous n’avez jamais vu auparavant, et que vous ne reverrez sans doute plus jamais), complexe narrativement (parfois trop ?). Un pari osé à 200 Millions de dollars de la part de Christopher Nolan et la Warner, dont on conseille forcément un 2nd visionnage aux âmes n’ayant pas percé tous les secrets de Tenet.
En ces temps de pénurie cinématographique, il est toujours revigorant de voir qu’un blockbuster d’auteur tout aussi intelligent qu’impressionnant puisse voir le jour. Une grande expérience de cinéma en somme. Sans nul doute un film un peu fou qui en laissera certains sur le carreau, Tenet mérite qu’on s’y attarde, et pas qu’une fois. Christopher Nolan livre là un de ses films les plus maîtrisés à tous les niveaux. Il lui manque juste un soupçon de cœur pour qu’il rejoigne la liste de ses classiques.