Charlotte Colbert est une artiste polymorphe (film, photographie, céramique et sculpture). Son œuvre questionne la narration, le temps, le langage, les constructions socio-économiques liées au genre et à l’identité. Après plusieurs courts, elle co-écrit et réalise son premier long-métrage : She Will.
Après avoir subi une double mastectomie, Veronica Ghent (Alice Krige) part en convalescence avec sa jeune infirmière (Kota Eberhardt) dans la campagne écossaise. C’est en arrivant sur place qu’elle découvre les conséquences d’une telle intervention chirurgicale. Elle remet en question sa propre existence. Alors, les deux femmes développent une relation particulière, tandis que des forces mystérieuses donnent à Véronica le pouvoir de se venger dans ses rêves…
She will regroupe toutes les notions qui ont traversé l’œuvre de Charlotte Colbert jusqu’à aujourd’hui. Le film imprègne ses textures sur la rétine, donnant l’impression d’une peinture vivante. L’image est organique, les noirs sont d’une obscurité infinie, rendant l’univers mystérieux et poétique. Les photogrammes rappellent des peintures naturalistes, à l’image de son traitement de la lumière.
Littéralement, Charlotte Colbert dresse le portrait d’une femme et questionne sur sa place dans la société. Sa double mastectomie transforme son corps en physique qu’elle qualifie elle-même d’androgyne. Elle s’interroge par exemple sur « pourquoi la société considère-t-elle ça comme plaisant chez les jeunes et terrifiant à un âge mûr ? ». She will soulève de nombreuses questions similaires, semblant apporter un discours féministe et engagé.
Tandis que le film est une fresque poétique faisant lien à la sorcellerie, on aura une approche beaucoup plus frontale et violente sur le patriarcat. Il suffit qu’un homme s’enflamme un peu trop vite sur les « bienfaits » de celui-ci pour que Charlotte Colbert lui colle un brasier aux mains. Le film n’a pas de place pour ces discours archaïques, il préfère plutôt dénoncer des réalités encore plus sombres.
La nature comme langage
Au-delà des mots, il y a les sens. She Will se déroule en plein milieu de la forêt. Le film propose une expérience sensorielle, par le toucher, les couleurs, le froid. La réalisatrice réussit à faire transparaître ces sensations au travers de Véronica, par des gros plans, mais aussi par des surimpressions. Le personnage ne fait alors plus qu’un avec la nature, devenant sa fontaine de jouvence.
La nature et son imagerie sont codifiés. Par exemple, les limaces représentent le caractère sexuel et prédateur des hommes. Même si la cinéaste se délecte de métaphores filées, elle n’hésite pas non plus à dénoncer des comportements bien plus cruels dont sont victimes les femmes, comme le viol. She Will arrive donc à jongler entre poésie et coup de poing, donnant au film un ancrage profond dans notre société.
Une œuvre complète
Charlotte Colbert livre une prestation impressionnante pour un premier long-métrage. Son aspect technique pointilleux et irréprochable donnent des photogrammes savoureux et forts de sens. She Will dégage un langage lyrique et musical. C’est un portrait complexe à aborder, notamment par ses sujets lourds et violents, mais essentiels à mettre en lumière aujourd’hui.