Matrix Revolutions débarque en novembre 2003, près de 6 mois après Reloaded. Seconde partie du diptyque et conclusion de la trilogie originelle, il s’agit de l’opus qui polarise le plus l’opinion. Réhabilité depuis, on tient là un 3e épisode plus classique, mais qui propose de vrais moments de bravoure ainsi qu’une conclusion des plus intéressantes !
Après le gros carton de Matrix Reloaded, il aura fallu attendre 6 mois pour découvrir la fin de la quête de Neo. Une sortie mondiale à l’instant T, qui n’aura certes pas fédéré autant que les précédents films, mais demeurera un beau succès à sa sortie. Tourné directement à la suite du 2nd film, Matrix Revolutions bénéficie de toutes les avancées technologiques déployées, ainsi que de tout le lore développé en films/comics/jeu vidéo afin d’apporter une conclusion à cette guerre entre humains et machines.
Revolutions reprend directement après Reloaded: Neo semble dans le coma après avoir contrôlé des Sentinelles dans le monde réel, mais est en réalité coincé dans une zone intermédiaire représentée par une mystérieuse station de métro (« Mobil Ave » étant l’anagramme de « Limbo », les limbes). De plus, il reste une poignée d’heures avant que les machines débutent leur assaut sur Zion, actuellement en train de perforer la surface sur plusieurs kilomètres. Il incombera donc à Trinity et Morpheus de trouver Neo, afin que celui-ci se rende à la Source des machines et mettre fin à cette guerre. C’est évidemment sans compter l’Agent Smith, ayant pris possession du corps de Bane dans le monde réel…
Là où Reloaded déconstruisait la notion de monomythe et de quête émancipatoire de l’Élu, Revolutions confronte à bras le corps la notion de libre-arbitre (matérialisée par l’Oracle) à celle du déterminisme (l’Architecte). La pilule rouge contre la pilule bleue, le choix contre le destin, Neo contre Smith… on se retrouve donc face au fondement même exposé dans le tout premier Matrix, avec à la clé une réponse sur qui de l’humanité ou de la machine l’emportera.
Après les errements de nos héros, ce 3e opus est donc beaucoup plus straightforward et focus, avec des enjeux clairs et une action quasiment en temps réel. L’occasion donc d’amener du gravitas comme il le faut, et proposer une conclusion bien épique à la trilogie Matrix. Un sentiment de satisfaction prédominant, ensachant que la boucle sera bouclée, alors que ce 3e opus se déroule presque intégralement dans le monde réel !
War for the Matrix
Matrix Revolutions débute donc dans une zone évoquant un purgatoire, où Neo est prisonnier d’un geôlier (qui concrètement est le passeur mythologique du Styx, le fleuve entre Terre et Enfer) à la solde du Mérovingien (revenant cabotiner avec sa french touch). Ce début de film peut paraître légèrement laborieux au premier abord, avec des dialogues beaucoup trop surlignés et explicatifs, alors que Trinity, Morpheus et Seraphin s’en vont mitrailler à tout va dans un club aux allures de BDSM party !
Même si c’est l’occasion de nous abreuver d’un bon gunfight (où gentils et bad guys marchent sur les murs ou le plafond), le tout est orchestré de manière à rapidement évacuer la situation laissée en suspens à l’issue de Reloaded. Après quelques explications de scénario un brin balourdes et une énième confrontation à l’Oracle (ayant changé d’actrice suite au décès de Gloria Foster) qui semble expliquer le scénario (« connais-toi toi-même« ), Revolutions peut réellement débuter et rentrer dans le lard, en se transformant en film de guerre hard-SF, et en duel super-héroïque aux proportions épiques !
Matrix Revolutions est sorti à la même époque de révolution technologique en terme de FX que le Seigneur des Anneaux, Pirates des Caraïbes ou bien la prélogie Star Wars. Et à la revoyure, ce 3e opus est à cette période la plus franche réussite aux côtés de la saga de Peter Jackson. Là où Reloaded se reposait parfois un peu trop sur ses incrustations et doublures numériques, Revolutions offre un spectacle de chaque instant, via une parfaite symbiose entre practical et CGI.
Cette fois-ci, bon nombre de maquettes et autres décors en dur ont été construits afin de matérialiser Zion (de manière plus prononcée que dans le précédent opus). Des quais aux infrastructures intestines, les gigantesques foreuses en passant par la collision du Hammer à travers le portail, chaque plan bénéficie de beaux détails (que l’on doit à Geoff Darrow et toute l’équipe déjà à l’œuvre sur le premier film). Par ailleurs, les méchas APU ou les Sentinelles (dépeintes comme un énorme essaim) forcent encore le respect aujourd’hui par le finesse d’animation dans les mouvements et leurs rendus. Oui, Matrix Revolutions est impressionnant à tous les niveaux !
I Believe
Autre point positif de Revolutions : la part accordée à des personnages jusqu’ici considérés comme tertiaires ! Alors que les Sentinelles s’apprêtent à débarquer, toute la populace semble vouloir subvenir à l’effort de guerre. Outre le capitaine Mifune (un Nathaniel Lees en grande forme qui a sans doute le plus beau baroud d’honneur du film), c’est l’occasion pour Zee (Nona Gaye, qui avait remplacée Aaliyah après qu’elle décède en accident d’avion avant de tourner la moindre scène) et le Kid (avec un bel écho à son court-métrage d’Animatrix vis-à-vis de sa foi envers Neo) de briller, et de donner un visage et une voix à l’ensemble du peuple humain de Zion.
En résulte une deuxième partie de film sans aucun temps mort, où les enjeux n’ont jamais été aussi importants dans toute la saga. De quoi pardonner les quelques errements préalables : ici la narration se fait à travers l’action et le sacrifice. Un parfum de mort et d’urgence prédomine donc dans ce 3e chapitre, étant thématiquement dans la droite lignée de ce qui a été entrepris dans les 2 précédents films !
En parallèle, Neo (délaissé du sens de la vue, pour mieux se centrer sur sa foi) s’engage dans son ultime confrontation, en allant au cœur même de la ville des Machines. Une sorte de mission-suicide aux accents tragiques, permettant à la fois de transcender le cœur même de la série (l’amour entre Neo et Trinity), et de faire écho au premier film via un enjeu final centré sur l’affrontement avec Smith. Il est d’ailleurs cocasse de voir cette entité virtuelle désormais représentée comme un virus (analogie avec laquelle il décrivait l’espèce humaine).
Le climax de Matrix Revolutions est souvent considéré comme la réalisation d’un fantasme vieux de plusieurs décennies : voir un affrontement sorti tout droit d’un comic Superman ou de Dragon Ball. Entièrement sous la pluie, le mano-à-mano entre les 2 nemesis débute dans la rue, avant de s’élever entre les buildings, dans un appartement vide et enfin dans le ciel. Super-vitesse, ondes de chocs et autres destruction massive alliés à la technicité martiale apportée par Yuen Woo-ping (chorégraphe que l’on ne remerciera jamais assez) font de ce duel un des grands moments de la saga, mais également du cinéma Hollywoodien du début des années 2000.
Deus Ex Machina
Outre une bonne dose d’action, ou chacun peut briller (Jada Pinkett Smith a aussi droit à son moment après sa période de disette dans Reloaded), c’est aussi l’occasion d’avoir un aperçu du cœur même de la cité des Machines. Une architecture d’excroissances apparentée à une ruche, en corrélation avec l’allure insectoïde de chacune des (rares) machines. Un constat logique et bien pensé, mais dommageable tant ces dernières auront finalement été peu représentées à chaque film. C’est l’occasion néanmoins de voir le Deus Ex Machina, l’entité suprême des IA, via un design entre l’oursin et la tête de bébé flippante. Une idée visuellement attrayante (afin de converser avec Neo), mais qui n’a pas réellement de sens si on réfléchit correctement à la nature artificielle, asexuée et sans âge pré-déterminé de l’intelligence artificielle.
Au final, Matrix Revolutions n’est pas le Matrix le plus virtuose, étonnant ou le plus intelligent. Par contre, on tient ici un opus des plus impressionnants et cathartiques, dont on ressort avec la réelle satisfaction d’assister à la conclusion d’un arc thématique complexe développé sur toute la trilogie. Un film plus opératique et épique donc : sentiment renforcé par la BO de Don Davis, aidé cette fois de Tom Tykwer (Cloud Atlas, Matrix Resurrections). Des sonorités lyriques usant de chœurs, comme dans les excellents morceaux Neodammerung ou Spirit of the Universe.
En résulte par ailleurs une fin nihiliste, sous forme de faux happy-end : est-ce réellement la fin de la Guerre, ou est-elle seulement retardée ? La lutte entre libre-arbitre et déterminisme a-t-elle une réponse ? Reverra-t-on Neo dans une nouvelle Matrice ? Un cycle de la vie sans fin, qui se veut à la fois une conclusion parfaite (malgré ses défauts), mais également annonciateur d’un renouveau !