Les Intranquilles voit Joachim Lafosse revenir à la bouleversante observation d’un couple qui se déchire pour ce qui paraît bel et bien comme son meilleur film. Le DVD est sorti, édité par BLAQ OUT.
Les Intranquilles est le neuvième long-métrage de Joachim Lafosse qui revient, après l’échec critique et public des Chevaliers Blancs et l’accueil plus modeste de Continuer, à l’observation d’un couple qui se déchire, sujet qui lui avait tant et si bien réussi avec L’Économie du couple. Présenté à la la sélection du Festival de Cannes 2021, le metteur en scène belge nous conte ici la rupture familiale au détour de la bipolarité d’un père peintre, magistralement (et le mot est faible) interprété par Damien Bonnard.
Rupture(s)
Les Intranquilles prouve, une fois de plus, de la maestria de mise en scène de Joachim Lafosse. Ce dernier réussit ainsi, en quelques grâcieux instants, à mettre en scène l’équilibre fragile d’un couple au détour d’un magnifique trio d’acteurs. Le paysage est paisible, ensoleillé, rien n’est dit, mais le père quitte peu à peu le décor pour se confronter à un mal qui aura bientôt raison de tous : sa bipolarité. Et plutôt que de tomber dans le piège de filmer cette folie de manière tapageuse et bruyante, le brillant scénario de Joachim Lafosse, Anne-Lise Morin, Juliette Goudot, François Pirot, Lou Du Pontavice, Chloé Léonil, et Pablo Guarise fera ici le choix de la muer en un hostile habitant de la maison, déséquilibrant peu à peu le fragile cocon familial.
Ce qui prend ainsi aux tripes dans Les Intranquilles, c’est ce délitement, brillamment et savamment orchestré. Cette idée d’une rupture totale avec un certain quotidien, un bonheur familial ponctué de petits instants de lumières. Les toiles du peintre sont désormais remplis avec hargne, et la frontière devient ainsi complètement brouillée entre fougue créatrice et folie dangereuse, entre le portrait d’un père artiste fantasque et d’un homme perdant peu à peu la raison. Le délitement, l’idée de rupture, qui menaçait déjà brillamment les murs de la maison familiale dans L’Économie du couple prend ainsi une résonnance encore plus forte. Les meubles sont ici maltraités, déplacés, malmenés, et le lit conjugal se transforme en zone hostile.
À la Folie
Tandis qu’une répare et prend soin des meubles, et des autres (Leila Bekhti, majestueuse), l’autre prend un savant plaisir, comme dans ses peintures, à tout déstructurer, à imposer sa folie, créatrice et mentale, au sein du domicile familial. Et lorsque tout explose, Les Intranquilles peut alors pleinement prendre toute sa puissance émotionnelle tout bonnement renversante. Joachim Lafosse, en metteur en scène accompli, prompt à filmer et à créer un cocon familial réussi, prend alors ici toute la maestria nécessaire pour tout envoyer valser et quitter cette zone de confort pour nous mener vers une explosion haletante et bouleversante.
Une folie qui se transmet à l’échelle de tous et une totale déchirure d’un portrait de famille, dont la dernière scène, et la dernière réplique, laisse tout simplement par terre. Il est ainsi aisé de voir dans Les Intranquilles le meilleur film de son auteur tant ce dernier déploie ici ses obsessions dans un engrenage magistral, sachant savamment orchestrer un bonheur familial jusqu’à son inévitable explosion. Un portrait familial majestueux et puissant, dont l’impact émotionnel laisse longtemps intranquille.