Pour le mois de mars, Netflix a choisi d’ajouter à son catalogue une série de films de Claude Chabrol. Connu pour ses films noirs à l’humour cynique, le réalisateur français de Poulet au vinaigre, Le Beau Serge ou encore Betty ne se présente plus. Son œuvre, étalée sur cinq décennies, lui aura valu plus d’une vingtaine de récompenses et on remarque que leurs thématiques, comme celle de L’Enfer, se révèlent encore d’actualité.
L’Enfer suit le couple de Paul et Nelly, deux amoureux dont le mariage bucolique tourne inexorablement au cauchemar. Depuis plusieurs années, ceux-ci forment un couple modèle avec leur fils, Vincent, dans leur hôtel du Sud de la France. Inquiet devant l’arrivée d’un concurrent, Paul perd le sommeil et commence à adopter des comportements étranges. Persuadé que son épouse le trompe, il la suit et sombre peu à peu dans la paranoïa. Réalisé en 1994, L’Enfer met en scène François Cluzet et Emmanuelle Béart, jeunes et fringants mais surtout terriblement justes. Plongée claustrophobe au cœur de l’esprit d’un mari jaloux.
L’Enfer au Paradis
Difficile de croire qu’un tel drame puisse se dérouler dans de ce décor idyllique. L’Hostellerie du Lac, domaine de Paul et Nelly, se trouve au bord d’un lac, entouré d’une forêt de pins. Les fleurs multicolores illuminent le jardin, tout comme la maitresse de maison, rayonnante de bonheur. Charmeuse, espiègle, cette dernière semble apprécier la compagnie des hommes mais demeure passionnément amoureuse de Paul. Jusqu’au jour où elle s’affiche avec le garagiste sur son bateau.
Cette vision trouble profondément son mari. Paul ne cesse alors de questionner son épouse sur ses allers et venues et sur ses fréquentations. Des soupçons qui paraissent fondés mais deviennent vite pesants. L’atmosphère légère et estivale qui régnait jusqu’alors s’alourdit et rapidement, les ténèbres s’abattent sur le domaine. La séance cinéma tourne au fiasco et un orage prive l’hôtel et ses occupants d’électricité. Une fois la nuit tombée, les angoisses de Paul resurgissent et tous les coups semblent permis.
Trop belle pour toi ?
Comme à son habitude, le réalisateur prend le temps de dépeindre soigneusement ses personnages. Paul, réservé, tranquille, et Nelly, pleine de vie, tout pimpante et apprêtée. Les comédiennes fétiches de Claude Chabrol, qu’il s’agisse d’Emmanuelle Béart, Stéphane Audran ou encore Isabelle Huppert, dégagent souvent quelque chose d’enfantin ou de mystérieux voire vénéneux. Tout comme Hitchcock et ses actrices phare, celles-ci revêtent toujours une apparence très travaillée et féminine qui renforce leur personnage.
Les ongles impeccablement vernis, le rouge à lèvres soutenu et les longs cheveux aux vent, Nelly a tout de la femme fatale. Autant d’éléments qui rendent tout à fait crédibles les premiers soupçons de Paul. Les personnages féminins revêtent en effet une importance particulière dans cette œuvre où l’on met en scène un mari jaloux. Marilyn, l’amie de Nelly, présente une apparence un peu plus vulgaire sans doute intentionnelle. Jupes et hauts trop courts laissent présager un côté volage qui contraste avec la classe d’Emmanuelle Béart.
Des acteurs diablement bons
L’œuvre doit beaucoup de sa justesse et de sa crédibilité au jeu des deux acteurs principaux. François Cluzet se révèle impeccable dans le rôle du mari jaloux qui perd le contrôle. Son visage crispé traduit à merveille les émotions trop longtemps retenues, éclatant dans un bouquet de violence final. Les tics et gestes nerveux distillés au fur et à mesure que l’histoire avance consolident le personnage de Paul, une performance intéressante pour l’acteur d’Intouchables.
Emmanuelle Béart, quant à elle, se montre éblouissante en épouse passionnée et conciliante. Son personnage, qui n’hésite pas à se priver de libertés pour rassurer son mari, fait preuve d’une dévotion remarquable, que l’actrice rend parfaitement crédible. Les larmes de peur et de désespoir ne paraissent jamais feintes, pas plus que les scènes dérangeantes où Nelly se change en séductrice.
Sorti en 1994, L’Enfer n’a pas pris une ride. Son charme un peu désuet, renforcé par une photographie originale et assez saturée, se voit renforcé par une thématique hors d’âge magistralement traitée. Un film oppressant qui se regarde avec bonheur… et sueurs froides !