Avec Le Problème à Trois corps, David Benioff, D.B. Weiss et Alexander Woo s’emparent d’un monument de la science-fiction chinoise et en tirent une adaptation réussie à la fois libre et fidèle à l’œuvre originale. Une série Netflix de grande ampleur.
Très exactement cinq ans après la sortie de l’ultime saison controversée de Game of Thrones, David Benioff et D.B. Weiss présentent – en collaboration avec le scénariste et producteur de True Blood, Alexander Woo – une adaptation en série d’une trilogie internationalement reconnue : Le Problème à Trois corps de Liu Cixin. Il faut croire que ces scénaristes aiment relever les plus grands défis ! Et il est indéniable que cette saga de “hard SF” (sous-genre se caractérisant par le respect de l’auteur des connaissances scientifiques contemporaines de l’œuvre) de près de 1800 pages en est un. Exigeante via la profusion des détails scientifiques, la multiplicité des personnages et son récit imbriqué dans différentes temporalités qui ne cesse d’évoluer et de se complexifier, celle-ci regroupe toutes les difficultés qui auraient dû la rendre inadaptable. Pourtant, cette série produite par Netflix a su tirer son épingle du jeu, et il est probable qu’elle saura trouver son public.
On pose le décor
A l’instar du roman, tout commence en 1966 en Chine, en pleine Révolution culturelle. Ye Wenjie, jeune astrophysicienne, assiste impuissante au lynchage public de son père, Ye Zethai, battu à mort pour avoir répandu des idées scientifiques impérialistes. Cinquante-huit ans plus tard, en 2024, le corps d’un scientifique est retrouvé dans son appartement, au beau milieu d’un compte à rebours écrit en chiffres de sang sur les murs.
Dans un monde où la science joue un rôle central tout en se développant à une vitesse faramineuse, les scientifiques se retrouvent décimés par une vague de suicides inexplicables. La Physique tout entière est remise en question par les résultats absurdes des accélérateurs de particules. Le milieu scientifique se retrouve entraîné dans un combat qui le dépasse de loin, sans même se savoir la cible d’une menace inconnue.
Un jeu à échelle planétaire
Cette nouvelle superproduction – chaque épisode vaudrait 20 millions de dollars (18 millions d’euros) selon le Washington Post – fait partie de ces séries qui soulèvent de nombreuses questions sans tarder à y répondre, avec un rythme haletant et riche en rebondissements. Le récit se développe en présentant çà et là, séquence après séquence, des problèmes puis leurs solutions qui sont, pour le spectateur, autant de pièces d’un puzzle apparemment insoluble qui s’imbriquent pour révéler un problème bien plus vaste. Pris à ce jeu à échelle planétaire voire cosmique, on se surprend à vouloir nous aussi comprendre cette équation et résoudre ce Problème à Trois corps.
“Tout n’est qu’un vaste jeu” : cette phrase pourrait être le leitmotiv de la série. Quelqu’un se joue des protagonistes principaux, embarqués dans une une aventure bien plus grande qu’eux. Augustina “Auggie” Salazar (Eiza Gonzales), Jin Cheng (Jess Hong), Saul Durand (Jovan Adepo), Will Downing (Alex Sharp) et Jack Rooney (John Bradley), cinq amis et brillants scientifiques, se retrouvent sans le vouloir plongés dans une intrigue digne des meilleurs livres de SF, sauf que celle-ci est belle et bien réelle.
De l’intime au collectif
David Benioff, D.B. Weiss et Alexander Woo se sont éloignés de l’œuvre originale en créant ce cercle d’amis, un procédé qui leur permet de joindre à cette histoire collective une part d’intime : aux enjeux mondiaux se mêlent des enjeux amicaux et amoureux, de petites histoires dans la grande Histoire. Dans ce groupe, on découvre ainsi cinq individus aux personnalités divergentes qui apportent des points de vue discordants sur la situation actuelle. Une pluralité de pensées nous permettant d’appréhender les évènements sous plusieurs angles. Cependant, si certains sont subtilement dépeints (Auggie, Jin), d’autres restent survolés et trop peu développés, comme s’ils étaient “de trop”, à l’instar de Jack Rooney.
Des enjeux actuels
Il est évident que cette série ne peut avoir la rigueur de l’ouvrage de Liu Cixin, dont la richesse descriptive nous permet de cerner en détails les enjeux scientifiques du récit. Pourtant, l’adaptation parvient à développer son histoire en s’emparant des éléments principaux pour nous les retranscrire dans un langage remarquablement simple. Certes, on en apprend moins sur la physique quantique et fondamentale, mais cela ne nous empêche pas d’apprécier l’univers présenté dans toute son étendue – et c’est dire s’il est vaste.
Le Problème à Trois corps est également une œuvre humaniste qui nous offre un regard critique sur la civilisation humaine, qui nous fait réfléchir sur notre propre condition d’être humain. Alors que l’Humanité est confrontée à sa plus grande menace, différents « clans » se constituent. Il y a ceux pour qui reculer devant le moindre obstacle n’est pas une option, quitte à agir contre la morale. Et il y a ceux qui ont perdu foi en l’humanité, ou qui, tout simplement, ne s’en préoccupent pas, envahis par un cynisme démesuré. Tous ces personnages nous amènent à remettre en cause notre monde et son fonctionnement. La série nous met brutalement face à cette question existentielle : dans de telles circonstances, serions-nous pour ou contre la sauvegarde de notre espèce ? Ces interrogations ne peuvent-elles pas déjà s’imbriquer à notre monde ?
Cette première saison du Problème à Trois corps dévoile son potentiel dès les premiers épisodes. Une adaptation remarquable d’une saga de SF particulièrement complexe.
La saison 1 et ses 8 épisodes sont à découvrir sur Netflix à partir du 21 mars.
Avis
L'adaptation qu'offrent David Benioff, D.B. Weiss et Alexander Woo du premier volume du roman de Liu Cixin, Le Problème à Trois corps, surprend par sa qualité. En s'emparant de ce monument de la SF, les créateurs livrent une série complexe où les enjeux des personnages rejoignent une histoire bien plus vaste, digne des plus grands défis frappant l'humanité. Un blockbuster dont on a hâte de découvrir les prochaines saisons au vu de la complexité des romans.