Là-bas de l’autre côté de l’eau retrace l’histoire mouvementée entre l’Algérie et la France des années 1954 à 1962 à travers une histoire d’amour passionnée.
Là-bas de l’autre côté de l’eau est une saga romanesque surprenante sur fond de guerre d’Algérie. L’histoire d’une famille ébranlée, d’un amour tourmenté. C’est un voyage immersif de part et d’autre de la Méditerranée aux côtés de personnages puissamment incarnés. Une pièce prenante, intelligente et utile.
France – Algérie : je t’aime, moi non plus
En Algérie, Moktar aime France, une jeune fille pied-noir qu’il connaît depuis l’enfance. Il aime la France aussi. Mais les évènements et ses aspirations d’indépendance pour son Algérie natale vont peu à peu l’éloigner de toutes les France de sa vie. Pendant ce temps, dans un bar de la banlieue parisienne, Jean-Paul profite quant à lui d’une dernière soirée d’insouciance avec son groupe de rock avant de rejoindre l’armée, missionné pour protéger la famille de la jeune femme.
La mise en scène efficace de Xavier Lemaire nous fait voyager de part et d’autre de la méditerranée. On passe de l’huilerie familiale d’Alger à un bar parisien ; du Ministère de l’Intérieur à une cave de la casbah où une cellule du FNL prépare des attentats contre la France… Des images et vidéos d’archives viennent compléter un décor déjà très vivant et réaliste en contextualisant les évènements historiques. On est plongé dans un passé pas si lointain, dans un drame historique et humain de 8 ans, ramené à 2h30 dans un spectacle mené tambour battant.
Des comédiens engagés
Que de vie et d’énergie dans cette galerie de personnages hauts en couleurs ! Il faut dire qu’ils sont une douzaine de comédiens à donner vie à cet formidable fresque et à ses nombreux personnages. Et aucun ne nous a semblé de trop. Il y a cette Madame Marthe au caractère bien trempé, interprétée par Isabelle Andréani, qui voue une haine affirmée aux Algériens – sauf à ceux qu’elle emploie ! Et pour cause, elle les tient pour responsables de la mort de son mari. On flirte entre répugnance et empathie à son égard, mais elle ne laisse en tout cas pas indifférent.
Impossible non plus de ne pas être touché par la relation conflictuelle qui unit cette mère à sa fille aînée, France, qui lit Sagan et a bien d’autres horizons que son Algérie natale. Dans ce rôle, la lumineuse Noémie Bianco, nous captive. On remarque aussi Kamel Isker, troublant d’authenticité dans le rôle de Moktar. Quant à Hugo Lebreton, si son personnage de Jean-Paul est parfois un peu caricatural, sa naïveté apporte une touche de légèreté et d’humour salvatrice dans un contexte douloureux.
Quand l’amour rencontre la guerre
L’histoire d’amour secrète que vit France avec ce jeune révolutionnaire algérien employé de sa mère, Moktar, nous embarque tout de suite parce qu’elle a quelque chose d’instinctif. Elle semble condamnée d’avance et incarne en cela même l’idée de liberté dans un contexte de plus en plus étouffant. Ils se connaissent depuis toujours, ils s’aiment, mais l’Histoire, la grande, les rattrape… Et puis il y a Jean-Paul, dont les sentiments pour France vont venir compliquer un peu plus les choses.
Les rêves et les espoirs de chacun des personnages de cette saga se heurtent ainsi à leurs convictions et à la dureté d’une réalité qui les dépasse. C’est d’une guerre que l’on parle, mais c’est avant tout d’humains dont il s’agit, touchés dans leurs cœurs, dans leurs âmes. Et quelques très beaux tableaux marquent l’esprit, à commencer par les scènes d’ouverture et de fermeture, visuellement et symboliquement très fortes.
Une ode à la fraternité
A travers les histoires individuelles de ces personnages et l’évolution de leurs situations respectives et de leurs choix, c’est la grande Histoire que l’on revisite. Celle de la guerre d’Algérie. Et c’est avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité que la pièce s’empare du sujet. En effet, il n’y a ni parti pris ni procès d’intention dans la démarche de Pierre-Olivier Scotto qui entremêle avec nuances les différents points de vue.
L’ambition de cette pièce est de transmettre, de libérer la parole sur un pan d’histoire resté assez tabou alors qu’il imprègne encore bien trop les consciences ; d’exorciser la colère, les douleurs, et rétablir un lien de fraternité qui a bel et bien existé entre français de France, d’Algérie et algériens. Ainsi, on pardonne les quelques longueurs et le jeu parfois un peu trop criard, et on salue une véritable prouesse et un moment de théâtre puissant.