Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets est un seul en scène puissant adapté du nouveau texte de Koffi Kwahulé.
Arletty est un personnage que l’on ne présente plus, mais que Koffi Kwahulé nous raconte d’une manière tout à fait inédite. Dans la loge d’un théâtre, une comédienne se prépare à entrer en scène pour jouer Arletty. Et tandis qu’elle plonge dans un rituel de mémoire, ses propres pensées se mêlent peu à peu aux souvenirs, et les vies des deux femmes entrent de manière troublante en résonance. Un seul en scène à la fois intrigant et captivant, porté par une comédienne époustouflante.
« J’ai la fiévreuse passion des causes perdues d’avance ! »
Portrait d’une « femme dangereuse »
C’est toujours un bonheur de (re)découvrir Arletty, ce personnage affranchi et insaisissable ; cette actrice emblématique du cinéma des années 1940 ; cette femme qui revendiquait sa liberté et l’assumait à travers une personnalité insolente et des choix controversés ; ou encore cette inoubliable Garance qui, dans Les enfants du Paradis, répondait aux compliments de Baptiste : « Je ne suis pas belle, je suis vivante, c’est tout. »
L’auteur se concentre ici sur sa vie au moment de la guerre, et sur les difficultés auxquelles elle a du faire face à la Libération pour s’être rendue coupable de « collaboration horizontale ». Mais celle qui privilégiait la vie et l’amour à tout le reste n’avait qu’une seule réponse – bien connue – pour justifier d’avoir été la maîtresse d’un officier nazi, aviateur dans la Luftwaffe : « Mon cœur est français, mais mon cul est international ! »
Une Arletty presque plus vraie que nature !
Bonheur également de découvrir Julia Leblanc-Lacoste, tout simplement épatante dans ce rôle. C’est une véritable mise à nu à laquelle elle se livre à travers ce monologue. Et on ne parvient pas à la lâcher du regard tant il y a dans son interprétation quelque chose de brut, d’habité, de sans concession. De rock’n roll aussi. Quelque chose d’Arletty finalement !
Le texte très documenté de Koffi Kwahulé est dense, saccadé, ponctué d’effets de répétition et de ruptures de rythme. À des élans de colère succèdent des moments de douceur, de beauté, tandis que des instants de réflexion au présent se mélangent aux souvenirs dans une mise en scène sobre. Et c’est sur le paravent ainsi que sur le cadre du miroir de la loge qu’apparaissent des projections vidéo et autres effets lumineux assez discrets.
Deux femmes affranchies qui ne font plus qu’une
En dépit de sa qualité, cette pièce n’est pas tout public. Hormis le fait qu’il est préférable de connaître un minimum Arletty et son histoire pour apprécier les nombreuses références, la compréhension n’est pas toujours évidente. En effet, il n’y a pas à proprement parlé de structure narrative. Plutôt une succession de séquences qui naviguent dans l’espace et dans le temps, et dans lesquels on peine parfois à se situer.
Les pensées de la comédienne dans sa loge interfèrent avec les souvenirs d’Arletty qu’elle veille à s’approprier en même temps que le texte, avant d’entrer sur scène pour jouer son rôle. Car, face à son miroir, difficile d’être entièrement une autre sans rester au moins un peu soi. Ainsi, elle passe d’une pensée à un souvenir, d’un personnage à l’autre sans que l’on parvienne toujours bien à saisir de qui, de quoi il retourne. N’est-ce pas Arletty que nous avons finalement face à nous d’un bout à l’autre ? On ne sait plus.
Mais bien que parfois confus et déroutés, nous demeurons captivés par tant de talent.
Arletty, comme un œuf dansant au milieu des galets, de Koffi Kwahulé, mise en scène par Kristian Frédric, avec Julia Leblanc-Lacoste, se joue jusqu’au 14 novembre 2021, du mercredi au samedi à 21h et le dimanche à 17h, au Lavoir Moderne Parisien.
[UPDATE 2022] Se joue du 07 au 30 juillet 2022 au Théâtre Le Petit Chien, au Festival OFF d’Avignon.
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